3 9007 0318 7947 1
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE
HISTOIRE
LITTKRAIRE
DE LA FRANCE
OUVRAGE
COMMENCÉ PAR DES RELIGIEUX BÉNÉDICTINS
DE LA CONGRÉGATION DE SAI>T-MALR
ET CONTIMÉ
PAR DES MEMBRES DE L'INSTITLT
(académie des insciuptions et belles-letthes)
TOME XXXV
SUITE DU QUATORZIÈME SIÈCLE
PARIS 1921
KRAUS REPRINT
Nendeln/Liechtenstein
1971
?Q
lOl
Réimpression avec L' accord de L Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris
KRAUS REPRINT
A Division of
KRAUS-THOMSON ORGANIZATION LIMITED
Nendcln/Liechtenstein
1971
l'riiiled in Gcrmany I essingdruckerei Wiesbaden
AVERTISSEMENT.
Il n'est arrivé que deux fois depuis cent ans que la Commission chargée de la continuation de YHistoire littéraire de la France ait été renouvelée presque tout entière d'un volume à l'autre. Entre le tome XXXV, qui paraît en i 92 i , et le tome XXXIV, comme entre le tome XIX et le tome XX, paru en i84i, trois membres delà Commission, sur quatre, ont disparu.
Nous n'avons l'intention d'apporter aucun changement notable aux partis adoptés par nos devanciers immédiats, sous réserve des observations suivantes.
Dix volumes ont déjà été consacrés au xiv*" siècle, avant celui-ci, et l'Avertissement du dernier de ces volumes indique que tous les auteurs qui y sont traités, sauf un, ont cessé de vivre de i32i à i323, alors que l'on s'était félicité dans le volume j^récédent d'avoir «atteint l'année i328». Chacun sait comment s'explique cette marche si lente et, en apparence, cahotée. Une partie très considérable de nos dix premiers vo- lumes du xiv^ siècle est occupée par des <^tudes sur des écri- vains du xiii^ qui sont morts dans les premières années du siècle suivant ; on trouvera encore ici trois articles de ce genre (Marco Polo, Pierre Gencien, Coutumier d'Artois), qui ont paru indispensables. D'un autre côté, des «Notices collectives», desli-
MIST. LITTBR. XXXV.
Y, \\ ERTISSEMENT.
nées à présenter le lableau de l'ensemble des écrits d'un même type, pour la plupart anonymes, pendant une période très étendue de riiistoire de la littérature médiévale, voire depuis les origines, ont fait leur apparition avec éclat à partir de notre tome XXXIII; nous nous expliquons plus loin an sujet de celte innovation, à laquelle les noms de Léopold Delisle et de Paul Meyer reste- ront attachés''^ Entiri il est impossible, et d'ailleurs inutile, on l'a souvent dit, dans une publication comme celle-ci, de s'astreindre à suivre, même pour les personnages dont la mort est datée avec précision, un ordre cbronologique rigoureux; les retours en arrière, d'un volume à l'autre, sont inévitables et ils sont sans inconvénients pourvu que l'on use de cette licence avec la discrétion convenable.
FiU somme, retours sur la fin du xiif siècle et notices col- lectives mis à part, le tome y\XXIV de Y Histoire littéraire traite des écrivains qui ont disparu de i'6'20 à i323 environ; la plupart de ceux dont il est question dans le présent volume sont morts entre i3^îo et i34o. Il y a donc progrès certain sur l'écbelle du temps. Nous sera-l-il donné d'acbever à peu près, dans le futur tome XXXVI, fliistoire du second quart du siècle, jusqu'à i35o? Nous fespérons, sans prendre d'autre engage- ment que celui de ne dépasser sous aucun prétexte, au procbain volume, la date de l'avènement du roi Jean. Encore restera-t-il , pour conduire véritablement fhisloire littéraire de la France jusqu'au seuil de l'âge de Charles \ , à traiter au tome XXXVII des écrivains, en assez grand nombre, dont f activité s'est mani- festée surtout avant i35o, mais qui sont morts entre i35o et i36o.
l'I Voir plus loin, p. xi\.
AVERTISSEMENT. vu
iNoiis nous rendons compte que nous n'arriverons, si nous y arrivons, à épuiser complètement, de la sorte, en trois volumes, la matière que nos devanciers nous ont laissée à élaborer jusqu au milieu du xiv* siècle, qu'à des conditions dont celle qui vient d'être énoncée n'est que la première. Il nous laudra sans doute, de plus, ajourner un certain nombre de « Notices collectives n qui ligurent à notre programme; renoncer aux articles très amples, dans le genre de celui dont Jacques Duèse a été l'objet au tome XXXIV, où des détails sont fournis sur une foule d'écrivains en même temps que sur le persoimage central, sans dispenser de notices particulières qui restent à faire par la suite sur ces écrivains; renouer enfin, et surtout, une tradition abandonnée par la Com- mission depuis le tome XXXII, c'est-à-dire depuis vingt ans, par la rédaction de» Notices succinctes » sur les auteurs secondaires ou plutôt sur ceux que la rareté des documents qui les concernent laisse dans une pénombre irrémédiable. Les deux derniers vo- lumes de XHhloire littéraire ne renferment, en tout, que quatorze notices individuelles. Le présent n'en contiendrait (jue vingt-trois si nous ne l'avions pas clos, à l'exemple de nos arrière-prédéces- seurs, par des «Notices succinctes», en nombre égal. \ l'allure ralentie des tomes XXXIIÏ et XXXIV, la nomenclature des écri- vains de la première moitié du xw** siècle n'aurait pas été épuisée dans la première moitié du xx", ou bien il aurait fallu passer entièrement sous silence tous ceux qui ne prêtent pas à des développements étendus. Or, nous ne nous crovons pas le droit de sacrifier, au profit des coryphées, les plus modestes partici- pants au chœur total.
Les auteurs de ce trente-cinquième volume de f/ÏM^otW littéraire de la France, membres de l'Institut (Académie des Inscriptions
vu, AVERTISSEMENT.
et BeUes-Leities), sont désigoés à la fin de chaque article par
les initiales de leurs noms :
P. V. Pâli. Viollet.
A. T. Antoine Thomas.
H. 0. Henri Omont.
P. F. Paul Fournier.
C. L. Charles-Victor Langlois, éditeur.
NOTICE
PAUL MOLLET,
DN DES AUIEIBS DES TOMES XXXIH-XX\IV DE VIIISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRAIVCE (mort I.E 99 NOVEMBRE igiik
Le I a juin i 896, l'Académie des Inscriptions cl Belles-iielties confia à Paul Viollet , qui lui appartenait depuis neuf années, la mission de remplacer Barthélémy Ilauréau à la commission de l'Hùtoire littéraire '^^K Cette désignation ne pouvait étonner aucun de ceux <jui avaient apprécié les excellentes qualités de notre confrère, sa curiosité toujours en éveil, sa très vaste érudition alimentée par les lectures les plus variées, sa criti({ue aiguisée, originale comme l'esprit de l'auteur et impartiale comme sa con- science. Au cours de sa longue carrière d'érudit, il avait maintes fois rencontré sur sa route des monuments de notre ancienne littérature, par exemple une chronique latine du xii° siècle sortie de cette abbaye de Saint-Denis qui fut au moyen âge un des principaux ateliers où s'élabora notre histoire nationale, ou encore les œuvres chré- tiennes des membres des familles royales de France, dont il crut devoir publier un recueil, afin de faire mieux connaître la psychologie de personnages qui exercèrent une influence prépondérante sur les destinées de la nation , ou enfin les enseignements donnés par saint Louis à son fils, dont il appréciait très haut l'importance religieuse et morale. Mais, avant tout, Viollet s'était consacré à l'histoire du droit public et privé.
Pour comprendre le rôle qu'il joua dans cette province des sciences historiques, il faut savoir qu'en s'adonnant à ces études Viollet n'avait été mû ni par un intérêt
'"' Il ne nous appartient pas de donner ici lui une notice très complète dans la séance
une biof^raphie de Paul Viollet. Son successeur du i5 novembre 1918. On y trouvera des
à l'Académie des [nscriptions et Belles-Lcttrei , indications bibliographiques sur les œnvres de
M. le comte H. -François Delaborde, a lu sur Viollet.
X NOTICE SIK PALL VIOLLET.
personnel ni par une vaine ruriositt'. Le trait iloniinanl de son àme était une préoc- cupation constante de la loi morale (jui régit la conduite des hommes et leur fait un devoir primordial de se conformer au\ préceptes de la justice. 11 eût aimé voir cet idéal réalisé dans le présent , et se plaignait de ne pas le trouver dans le passé ; d'où sa haine très vive contre l'iniijuité, où qu'il crût la surprendre, et sa sévérité à l'égard de ceux qui s'en rendent coupables; sévérité (|ui croissait en proportion du rang qu'occupaient les coupables dans la société.
On n'aura pas de peine à comprendre que l'étude du droit devait l'intéresser plus que personne. C'est en effet le droit (jui donne une solution à nombre de problèmes moraux que se posent toutes les sociétés. Sollicité à la fois par le piésent et par le passé, VioUet se voua particulièrement à l'éludi-, trop délaissée au temps de sa jeu nesse, de la législation des âges qui ont précédé le nôtre. C'est à cette résolation que nous devons diverses œuvres d'une importance capitale au premier rang desquelles il faut placer celles qui ont le plus contribué à établir la réputation de leur auteur : son Histoire du droit civil fian<^ais , son Histoire des iiistilatwns politiques de la France et sa magistrale édition des ÉtablissemenL^ dits de saint Louis, donnée dans la Collection de la Société de l'histoire de France. A côté des gi-ands ouvrages, la bibliographie de Piiul Viollet contient une foule d'écrits dont beaucoup témoignent de sa prédi- lection pour l'étude des cas de conscience dont l'histoire est remplie, par exemple : la doctrine de la légitimité à la chute de la dynastie carolingienne, le problème du droit des femmes à la couronne, le conflit des droits du roi et de la nation, ou encore celui des droits de la communauté rurale et du seigneur.
Sous l'influence de cette tendance, Viollet ne pouvait manquer d'être attiré parcefle des législations qui donne la plus grande place aiL\ droits et aux obligations de la conscience morale, c'est-à-dire par le droit canonique. De bonne heure il avait porté son attention sur la législation de l'Eglise catholique. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur les comptes rendus qu'il consacra, dans la Revue critique ou dans la Revue historique, entre 1870 et 1880, aux ouvrages des principaux canonistes d'outre-Rhin , par exemple sur l'important article qu'il publia sous ce litre : Examen de l'Histoire des Conciles de M'' Hefele, ou encore sur les écrits où, pour mieux se rendre compte des origines du gallicanisme, il traita de la Pragmatique Sanction longtemps attribuée à saint Louis.
Ainsi«ce n'était pas seulement l'histoire des institutions civiles, mais encore celle des institutions ecclésiastiques qui était familière à Paul Viollet. L'étudiant qui le voyait descendre de la Montagne Sainte-Geneviève, la figure cachée par un volume où, pour économiser son temps, il continuait une lecture commencée dans son cabi- net, aurait pu être tenté de croire qu'il rencontrait un maître de la vieille Faculté de
NOTICE SUR PAIL MOLLET. xi
Décrets, égaré dans le Paris du x\' siècle. Mais s'il s'approchait de lui pour solliciter un renseignenncnt ou un conseil, et s'il pénétrait à sa suile dans le cabinet où VioUet conservait, dans des casiers admirablement rangés, l'innombrable série de fiches où il avait consigné les obsenations les plus variées, il s'apercevait bien vite que ce maître, versé dans la science du passé, n'était pas moins soucieux des choses mo- dernes, et que d'un regard attentif il suivait l'évolution des faits et des idées aussi bien au xx° siècle qu'au xiii% avec le souci, qui ne le quittait pas, d'éclairer le passé par le présent, comme le présent par le passé.
Juriste et canoniste, Viollet était bien préparé à l'étude de la littérature du viv' siècle en France. Ce siècle, en effet, fut par excellence le siècle des jurisconsultes, parce qu'il vit s'achever une évolution qui s'élaborait depuis longtemps. Deux cents ans plus tôt, l'Occident avait retrouvé, avec les Pandectes, une législation rationnellement construite, qui eut vite fait de se répandre dans les écoles, et de remplacer, pour les esprits cultivés, les formules traditionnelles et les règles empiriques, d'ailleurs assez peu précises , constituant le droit commun des nations issues de l'Empire carolingien. Au contact de cette législation, le droit canonique, qui lui avait emprunté ses mé- thodes et quelques-unes de ses constructions, devint rapidement un droit scientifique, dont la connaissance exigeait une initiation. Les conséquences pratiques de cette transformation se firent bientôt sentir dans l'Eglise. Pour appliquer le droit nouveau, un personnel technique se forma, qui fournit aux prélats leurs conseillers et leurs agents et finit par s'élever jusqu'au sommet de la hiérarchie, à telles enseignes que le xiii' siècle et le xiv' furent lïige des Papes jurisconsultes. On sait la grande place que tint l'un d'eux, Jean XXII, dans le premier tiers du xiv* siècle, et comment, sous son règne, l'Université de Paris, où se conservaient les traditions de la vieille science sa- crée, fut amenée à concevoir quelque défiance de la cour d'Avignon, où la prépondé- rance semblait acquise aux canonistes. Dans le monde séculier l'enseignement du droit de Justinien joint à l'exemple du gouvernement ecclésiastique ne tarda pas à produire un mouvement parallèle, qui porta les légistes aux plus hautes fonctions, judiciaires, administratives et politiques. La littérature du xiv* siècle ne pouvait manquer de refléter cette double évolution ; large est la place qu'elle fit aux œuvres inspirées par l'un ou l'autre droit. C'était un vaste champ qui s'ouvrait aux recherches de Paul Viollet. Les quatre notices, toutes importantes, qu'il a écrites pour ï Histoire littéraire, concernent des œuvres et des personnages relevant du domaine de fhistoire du droit.
Viollet était entré dans la Commission trop lard pour prendre mie part active à la rédaction du tome XXXII. La première des notices qui lui sont dues parut dans le tome XXXIII ; elle donna la mesure de ce qu'il était permis d'attendre de sa colla-
XII NOTICE SLR PAIL MOLLET.
boration. VioUet y avait comblé une lacune des précédents volumes, en écrivant l'histoire littéraire du droit normand au xiif siècle.
La race vigoureuse qui peuplait la Normandie, rajeunie au x" siècle par l'infusion d'un sang nouveau, avait su adapter à ses besoins les institutions carolingiennes, et, sans subir l'influence romaine, s'était donné un droit original et précis, singulière- ment en avance sur le droit encore amorphe de beaucoup de provinces de France. Sans suivre les destinées de ce droit dans les pays lointains où les Normands éta- blirent leur domination, Viollet se borna à en étudier les monuments en Normandie: d'abord' les deux textes capitaux du droit normand du xin' siècle, le Très Ancien (joutumier et le Grand Coutamier; puis deux consultations du même temps ; enfin une série de recueils de jurisprudence normande composés à diverses époques du XIII* siècle. Ainsi Viollet a, pour tout ce siècle, fait connaître par le menu les sources du droit normand en même temps qu'il analysait celles des prescriptions de ce droit <[u'il estimait caractéristiques. Pour que ce tableau, tracé de main de maître, fût com- plet, il a manqué à Viollet de pouvoir tirer parti du volume publié en igoS par M. Joseph Tardif, où est reproduit le texte français du Très Ancien Coutamier, accom- pagné d'une introduction critique ; au moins lui a-t-il été permis d'en mentionner les conclusions dans les notes additionnelles placées, suivant l'usage, à la fin du volume. Il n'en est pas moins vrai que sa notice, si ample et si consciencieusement fouillée, constitue de la législation normande au xiir siècle un exposé qui est de grande utilité aux historiens du droit.
La collaboration de Viollet au tome XXXIV est représentée par les notices de deux canonistes : Guillaume de Mandagout et Bérenger Frédol, tous deux originaires de la France méridionale, préparés par leurs études et leurs fonctions premières aux hautes charges de l'Eglise, plus tard évêques, archevêques, cardinaux de l'Eglise ro- maine, et tous deux classés parmi ceux qui, à la mort de Clément \, furent consi- dérés comme ayant des chances d'être élus au suprême pontificat. L'un et l'autre, mêlés aux plus grandes affaires religieuses et politiques de la période qui s'étend de l'avènement de Philippe le Bel aux dernières années du pontificat de Jean XXII, négociateurs, arbitres, juges, conseillers des puissants, collaborant à la rédaction des nouveaux codes canonicjiies, ont manfué leur trace dans l'histoire de leur temps, et laissé après eux des écrits estimés qui concernent la législation ecclésiastique. C'est encore à un canoniste que \ ioUet consacra sa dernière notice , insérée au présent vo- lume : Guillaume Durant le Jeune, évêque de Mende, neveu du Speciilator. Le nom de ce personnage appartient à notre histoire à raison du rôle ((u'il joua dans la poli- tique française. Plus considérable encore fut la part qu'il prit aux affaires de l'EgUse, soit comme évêque français, soit comme agent de la politique pontificale en Italie,
NOTJCE SIR l>\L!L MOi.l.KT. xii.
soit L'iifin comme auteur d'un ouvrage où il traite de toutes les questions intéressant le gouvernement ecclésiastique : le Tractatiis de modo celebrandi Coiinlii gencialis.Pai (|uel(jues-unes des idées (ju'il y développe, Durant se trouve être le précurseur de la théorie conciliaire, qui devait séduire tant d'espiits en Krance, quatre-vingts ans plus tard, à l'occasion du Grand Schisme. Un tel ouvrage était hien fait pour attirer sur son auteur l'attention très éveillée de Paul VioHet.
On retrouve dans ces diverses notices les qualités coutumières de notre (onfrère, et, toutd'ahord, la richesse de son information. l'Vapperà toutes les portes, explorer tous les dépôts, consulter tous les ouvrages dont il lui était permis d'esp.'^rer des ren- seignements, c'était là pour lui une affaire de conscience ; il s'en acquittait avec le soin méticuleux qu'il mettait à toutes chos(;s. On le vit, lorsqu'il préparait la notice de Guillaume Durant, s'établir à deux reprises à Mende pour y recueillir des documents, (hàce à ses recherches, il lui fut donné de découvrir plus d'un manuscrit incornm de ses devanciers, de rectifier des atlrihutions erronées, de conjbler des lacunes de biblio- graphie, de résoudre plusieurs inigmes. D'ailleurs il ne bornait pas sa lâche à faire une histoire purement evterne des u'uvres qu'il ri'ncontrait sur sa route. Il les analysait par le menti, comme on en pourra juger par l'analyse de l'écrit de (juilla.ime Durant, ou par celle du tiaité de Guillaume de Mandagont sur les élections canoniques; il appli(|uait ses facultés de critique perspicace à en dégager les idées maîtresses.
Comme il fallait l'attendre d'un homme toujours préoccupé des problèmes intéres- sant la conscience, Viollet s attachait particulièrement à mettre en relief la physionomie morale des auteurs dont il étudiait les ouvrages : c'est là le trait vraiment caractéris- tique de son œuvie. S'occupe-t-il du Grand CouLumicr d<- Normandie, dont l'auteur est fort mal connu, il saisit au \ol les informations dont il peut tirer parti pour en ébau- cher le portrait. Aux préoccupations que décèlent divers passages du Coutumier, Viollet reconnaît un clerc ; il a, dit il, la charité ([ui convient à cet état, à laquelle il joint une linesse à la fois ecclésiastique et normande. Au fond c'est un brave homme et un bon cœur; mais il a sa manière de donner, des choses, des raisons toujours ingénieuses, souvent arlilicielles, qui sont moins les vraies raisons que des explication.s de diplomate. « Il a brodé une tapisserie élégante, qui cache au lecteur superiiciel et peut-être lui cache à lui-même les vraies raisons. . Viollet est heureux de soulever le voile et de découvrir l'homme derrière le juriste. Cette étude ne sera pas inutile ; car Viollet en conclut que le jurisconsulte et l'historien ne devront interroger l'auteur du Grand Coalumier cp^i'avec quelque précaution.
Notre confrère n'est pas moins curieux de la psychologie des trois prélats dont il lui est échu d'étudier l'œuvre. 11 s'est fait un idéal très élevé du rôle qui appartient aux chefs de l'Église; aussi n'est-il pas indulgent à leurs vices ou même à leurs faiblesses.
HIST. LrrTER. XWV.
x.v NOTICE SLH l>\l I. VIOLI.ET.
li tient GuiHaumi; de Mandagout et Jiéiengei |- ivdol pour des personnages de mora- lité moyenne, tn-s soucieux des mtéièts de leur «arrière; Mandagout lui apparaît comme un homme de transaction et de concdiation, ([ui a j)eu de goût pour les solu- tions logiques et les opinions extrêmes. Il est prudent et n'aime pas à se compromettre; choqué de l'empressement qu'il mit à se justilier du soupçon d'avoir émis une opinion désagréable au roi de Sicile, Charles 11, Viollet n hésite pas à le ranger dans « la grande famille des trembleurs ". Cardiniil-e\é(|ue de Paiestrina, Mandagout joint à son évêché de nombreux bénélices, en dépit de la iui(|ui prohibe la pluralité; cano- niste, auteur d'un tiaité des élections, il s'est à trois reprises laissé nommer directement par le pape à de grands sièges épiscopaux. >aii> prendre le moindre souci îles droits des chapitres. Viollet ne peut se tenir de I en blànier sévèrement. Si Mandagout avait pu répondre à ces critiques, il eût sans doute allégué, d'une part, (jue les cardinaux étaient exempts des prohibitions concernant la pluralité des benélices, d'autre part, que le droit de nomination directe, ex« rci' par l^ pape t n m itu des réserves, n était pas sérieusement contestable, et (jn'ainsi, sur les deux points, il as ail la conscience tran- (|uille. 11 eût ajouté qu'en dépit de la piudenee diPiil c)n lui faisait un grief, il était de ceux i|ui, sous le pontificat de Clément V. avaii ?it défendu la mémoire de Boni- face \ m et avaient combattu la (andidatnre du roi de France à fKmpire. Quanta Hérenger Krédol , Viollet en lait un portrait |)en flatteur : « Bien né, bien apparenté, « débonnaire et ambitieux, doux et avise, plu> cauteleux qu'honnête, mais compa- « tissant et humain, sans giande originalité d'esprit, il avait tous les dons, toutes les «qualités, tous les défauts et les lacunes cpii facilitent le chemin des honneurs.» Viollet lui reconnaît cependant le mérite d'avoir, dan> lafTaire de Bernai d Délicieux, combattu les excès des inquisiteurs, et le loue d'avoir, sous Jean XXll, pris le parti des Franciscains spirituels, qui devaient être vaincus. Quant à sa conduite dans le pro- cès des Templiers, il l'explique par une de ces hypothèses ingénieuses, auxquelles il lui arrive de se complaire ; celle-ci n'a pas niaïujué de soulever de graves objections.
Guillaume Durant ne devait pas non plus sortii- indemne de len(|uêle à laquelle s'est livré Viollet. Visiblement, Viollet lui sait gré de l'indépendance de quelques-unes de ses a[)préciations et de son zèle pour la réforme de l'Mglise, non seulement dans ses membres , mais encore et surtout dans son chef. Il ne l'en accuse pas moins d'oublier trop facilement certains préceptes de morale chrétienne, ou même de morale natu- relle. Sans doute s'étonne-t-il de la vigoureuse et durable hostilité que témoigna l'évêque aux membres de la noblesse du Gévaudan, irréconciliables adversaires du pariage conclu entre lui-même et le roi de France, dont le résultat fut d'ailleurs d'assurer le repos de l'I'lglise et du pays.
Ainsi notre regrette collaboraleur s efforçait de lire entre les lignes de l'histoire et de
NOTICE SLR PAIL MOLLET. xv
dégager du langage souvent laconique des chroniques et du langage toujours convenu des chartes le portrait d'hommes him vivants, mêlés aux alTaireset aux luîtes contem- poraines, s'y mouvant sous l'empiic de considérations fort humaines et parfois de passions qui eussent scandalisé les saints. Pour juger unpartialement ces honames, il faisait appel aux inépuisables ressources de son éiudition, et s'en servait avec la belle et noble indépendance qui caractérisait ses appréciations. 11 a marqué d'un cachet qui est bien à lui les pages qu'il a données à Yllhtciie (iftéraire, parce qu'il y a mani- festé sans ambages le souci, dont il fut toujours animé, de réserver ses louanges aux hommes qui, à son avis, étaient demeurés fidèles au devoir et avaient respecte le droit.
F. F.
NOTICE
SUR
NOËL VALOIS,
UN DES AUTEURS DES TOMES XXXIII-XXXIV DE L'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRAffCE (mort le 11 NOVEMBRE IQlS).
Noël Valois appartenait à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis un an à peine — il avait été élu membre ordinaire le 23 mai 1902 — lorsque les suffrages de nos confrères l'appelèrent, le i"' mai 1903, à faire partie de la Com- mission (le y Histoire littéraire de la France à la pla<;e de (îaston Paris, décé(l('' le 5 mars précédent'". Pendant douze ans et demi , il a pris part aux travaux de notre Commission et apporté une active collaboration à la publication de la dernière partie du tome XXXIII, et surtout du tome XXXIV, qui est en bonne partie son œuvre. Le 29 (jctobre 1 9 1 5 , il revisait encore les premières épreuves du tome XXX\ . sans que lui-même eût deviné le mal qui cheminait traîtreusement et qui, quelques jours plus tard, devait l'emporter, en pleine activité et à peine âgé de soixante ans, le 1 1 novembre 1915.
Né à Paris, le li mai i855, dans l'ancien « petit hôtel de Nivernais «, au n° 1 1 de la rue Garancière, notre confrère appartenait à une vieille famille parisienne, illustrée au xvni° siècle par ses ancêtres, les peintres Hubert Drouais t'i Noël Halle, plus tard par son grand-père, Achille Valois, sculpteur ordinaire de la coui- de Louis XVIII, et, du côté maternel, par Philibert Guéneau de Mussy, le conseiller de Fontanes lors de l'organisation de l'Université impériale, au début du siècle dernier. Ses études secondaires brillamment terminées au lycée Louis-le-Grand et
''* La vie de Noël VaJois a été retracée en Ei\e est publiée, avec une bibliographie trùs
détail, et avec autant d'art que de précision, complète à la suite , dans les Comptes rendus des
par son successeur à l'Académie des Inscrip- séances de l'année 1918, p. iy-gS. lions et Belles-LeUres , M. Ch.-V. Langlois.
xv„i NOTICE SI II NOËL V\L01S.
complétées parles deux licences es lettres el en droit , Noël Valois entrait à vingt ans, en 1875, à l'École des chartes, en même temps que deux de nos confrères, MM. Antoine Thomas et Paul Fournier, qui, plus tard, devaient le rejoindre à l'Académie et dans notre Commission. Archiviste-paléographe en janvier 1879, il était docteur es lettres l'année suivante avec deux thèses justement remarquées : l'une sur GuUlaunie d'Auvergne , àvêqae de Paris {Î2'28-12Ù9), sa vie el ses ouvrages, dans laquelle il faisait revivre la noble figure, imparfaitement connue encore, de ce grand prélat et de ce savant théologien , en même temps conseiller de saint Louis et agent dévoué de la papauté; l'autre intitulée : De arte scribendi epistolas apnd Gallicos medii œvi scripbres rhetoresve, qui allait être bientôt suivie de son Élude sur le lylhmc fies bulles pontijicales , publiée en 1881 dans la Biblv)lhèquc de l'École des chartes: travail resté classique, où des problèmes longtemps insoupçonnés étaient lésolus et qui ouvrait des voies nouvelles à la critique des textes diplomatiques du moyen âge.
Nommé en 1 881 archiviste aux Archives nationales, Noël Valois y passa douze ans de sa vie et y fut un fonctionnaire modèle, ainsi qu'en témoignent les deux gros volumes d'Inventaire des arrêts du Conseil d'État [règne de Henri IV), parus à quelques années de date, en 1886 et 1893. Le tome premier de cet Inventaire était précédé d'un Essai historique sur le Conseil du Roi, qui, remanié et complété, formait, en i888, le Conseil du Roi aux xiv',xv' et xvi' siècles, ouvrage dont l'Académie des Inscriptions reconnaissait le mérite l'année suivante en décernant à son auteur le 1"' prix Goberl.
Le travail de l'archivisti' avait décidé de la vocation de l'historien , qui, désormais, devait consacrer son activité presque exclusivement à l'étude du xiv* el du xv' siècles. L'Inventaire des arrêts du Conseil d'Etat et ses recherches sur l'histoire du Conseil du Roi avaient, en ellet, conduit tout naturellement Noël Valois à l'étude du xiv' siècle, et, dans la seconde moitié de ce siècle, s'était présentée à lui la question, importante el obscure entre toutes, des origines et des développements du Giand Schisme d'Occident. Il avait rencontré Li voie où ses qualités émincntes d'historien de la France et de l'Eglise allaient donner leur mesure. En 1893, il quittait les Archives nationales, afin d'entreprendre en toute liberté une vaste enquèle dans les dépôts français et étrangers, et ses recherches aboutissaient à la publication, de i 896 à 1902, de quatre volumes sur La France et le Grand Schisme d'Occident, qui lui valurent une seconde fois le 1 " prix Gobert. Bientôt paraissaient encore son Histoire de la Pragmatique Sanction de Bouiges [1906), suivie de deux volumes sur La Crise religieuse du xv' siècle. Le Pape et le Concile (1 909)-
Ces derniers travaux, où Noël Valois renouvelait l'histoire sur une loule de points.
NOTICE SUR iNOÉL VALOIS. six
en suivant pas à pas If développement de la crise religieuse qui avait si profondé- ment troublé les esprits au xiv' et au xv' siècle, avaient marché de pair avec sa col- laboration à l'Histoire Hltéraiie de la France. Appelé dans la Commission pour rem- placer Gaston Paris, il était cependant tout désigné pour reprendre parmi nous l'œuvre interrompue de Barthélémy Hauréau et continuer dans le tome XXXIII l'étude des écrivains scolastiques. C'est ainsi que les deux dernières notices de ce volume ont été consacré«?s par lui, l'une à préciser la vie et les œuvres du hère mineur Pierre Auriol, ce penseur original, suivant les propres expressions de notre confrère, qui, en aucune des matières de l'enseignement philosophique, ne se con- tenta des solutions fournies par les maîtres anciens ou modernes, et qui, toujours, eut l'ambition de parvenir, par son effort personnel, le plus près possible de la vérité; l'autre à un maître de l'Université de Paris, Jean de Jandun, dont les traités philosophiques et les commentaires sur Aristote et Averroès ont longtemps obteim des succès d'école, mais qui est plus connu par son Eloge de Paris et surtout jjar la part qu'il a prise à la rédaction du célèbre Dejensor pacis , écrit à Paris en l'ôià, en collaboration avec Marsile de Padoue, pour soutenir le chef de i'Kmpire, Louis de Bavière, dans sa lutte contre Jean XXII; œuvre touffue, obscure souvent, et pleine de contradictions, mais singulièrement audacieuse, tant en religion qu'en politique, si bien qu'on a pu reconnaître en ses auteurs les précurseurs de la Réformr et même de la Révolution française.
Dans le tome XXXIV de l'Histoire littéraire de la France, cinq des dix articles qui le composent et en forment la partit- la plus considérable sont l'œuvre de Xoël Valois : Jacques de Thérines, Jean de Pouilli, Jean Rigaud, Guillaume de Sauque- ville et Jacques Duèse, pape sous le nom de Jean XXII : ce dernier article occupe à lui seul plus du tiers du volume. Notre confrère a tracé de vivants portraits des deux premiers de ces théologiens : l'un, le cistercien Jacques de Thérines, auquel il a restitué son véritable nom, théologien renommé, philosophe disert, casuiste hardi, le type en un mot du moine français contemporain de Philippe le Bel, indépendant vis-à-vis du roi et plein de méfiance à l'égard du haut clergé séculier; l'autre, élève de Godefroi de Fontaines, le « Docteur vénérable », sorboniste décidé, dévoué avant tout è la défense des cboits du clergé séculier dans ses luttes contre les Ordres Mendiants, et en qui l'on voit renaître, toutes proportions gardées, une sorte de Guillaume de Saint-Amour. Le portrait de Jean XXII, que Noël Valois a peint de main de maître, s'il sort un peu du cadre ordinaire de l'Histoire littéraire, fait revivre à nos yeux, avec autant de vérité et de force que d'agrément, l'activité sur- prenante de ce vieillard, pontife épris d'autorité avant tout, ennemi de l'hérésie sous ses formes diverses, propagateur de la foi chrétienne dans les lointaines contrées
XX NOTICE SUR NOËL VALOIS.
de l'Orient, mais en même temps, et avant tout, défenseur de la suprématie tem- porelle du Saint-Siège.
La vivante image que notre confrère a tracée ici du plus grand des papes d'Avi- gnon restera comme le couronnement de son œuvre, prématurément interrompue, mais qui, de Guillaume d'Auvergne à Jean XXII, n'a cessé d'être d'une parfaite unité. Cette imité se retrouvait dans sa vie. Savant et artiste à la fois, «gentilhomme français et chrétien», suivant la très juste expression de celui qui l'a remplacé parmi nous, Noël Valois a laissé le souvenir de l'honnête homme, simple, droit, courtois et ferme, imposant le respect et l'estime autant pour son caractère que pour son talent d'historien.
H. 0.
NOTICE
SUR
PAUL MEYER,
CN DES AUTEURS DES TOMES XXXII -XXXIV DE VBISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE
(mort le 7 SEPTEMBRE 1 9 1 7 )■
Né à Paris le 17 janvier 18/io, Marie-Paul-Hyacinthe Meyer fut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 3o novembre 1 883 ; neuf ans plus tard, le U décembre 1892, l'Académie le désigna pour succéder à Ernest Renan dans la Commission chargée de continuer {'Histoire littéraire de la Fiance.
La Commission n'a jamais été composée d'une manière aussi brillante et aussi eflicace qu'alors. Quelle époque, dans l'histoire de Y Histoire littéraire, que celle où Barthélémy Hauréau, Gaston Paris , Léopold Delisle et Paul Meyer, après Renan, ont été appelés à mettre en commun leurs ressources pour surélever de ipielques assises cet édifice immense et disparate auquel tant de générations avaient déjà travaillé et dont l'achèvement se perd et se perdra longtemps encore dans des perspectives loin- taines! Agrégé le dernier, par le hasard des vacances, à cette équipe illustre, Paul Meyer en a été aussi le dernier survivant. Nous, qui en avons connu tous les membres , et qui sommes leurs disciples , nous savons par quelles nuances ces grands hommes différaient, mais, tout mis en balance, notre admiration les place à peu près sur le même plan. Et nous savons aussi que, pour bien des raisons, pareille conjonc- tion de talents supérieurs ne se reproduira plus, vraisemblablement, sur le terrain de nos études.
Une carrière comme celle de Paul Meyer, en particulier, ne parait plus possible désormais. Outre que les hommes aussi bien doués que lui pour la recherche et la découverte dans Tordre des problèmee dont on s'occupe ici, et qui ont de si bonne heure une vocation si décidée, sont très rares, les circonstances ne se prêtent plus, comme il y a un demi-siècle , à ces enquêtes triomphales dans des dépôts de manuscrits
HIST. LITTÉR. XXXV. d
2 *
XXII NOTfCE SUR PAIL MEYER.
mal explorés, surtout ii lYtranuLT, que Paul iNIeyer entreprit dès l'adolescence et continua pendant près de ciiK|uante années avec une ardeur et un bonheur sans pareils. Personne n'a lait autant de trouvailles éclatantes que Paul Meyer dans le domaine de l'histoire littéraire du moyen âge. Et personne n'en fera autant à l'avenir, notamment pour ce motif qu il n'y en a plus tant à faire.
il entra à l'Ecole des chartes en novembre iSSy, et, dès i858, son maître Guessard l'attacha à la publication des anciens poètes de la France. On vit paraître, dans cette collection, en 1861 , un volume qui contenait deux chansons de geste, Ayed'Avignon, par Guessard et Paul Meyer, et Guy de Nanleiiil, par Paul Meyer seul. Entre temps, L. Delisle s'en était remis à lui pour éditer et conmienter un texte provençal, récem- ment découvert à la Bibliothècpie nationale, qui forme la principale pièce d'un recueil d'Anciennes poésies religieuses en langue d'oc, inséré dans la Bibliothèque de l'École des chartes en 1 860. Ce texte était difficile; on est émerveillé encore maintenant de la science et de la dextérité critiques dont fit preuve, en l'élaborant, cet éditeur de vingt ans; un professeur allemand a voulu, eu 1886, recommencer ce travail de fond en comble O, et il l'a manqué. Paul Meyer préludait d'ailleurs, simultanément, sur tous les tons et sur tous les thèmes où il devait exceller par la suite. Le long compte rendu qu'il consacra, en i8G'2, aux Etudes sur l'histoire de la langue française de Littré'^' le fait voir déjà installé, en ce temps-là, dans les fonctions qu'il a toujours aimé à exercer, et qui l'ont rendu longtemps redoutable, de censeur des travaux d'autrui. Il faisait enfin ses premières armes dans fhistoiro littéraire proprement dite: ses Études sur la chanson de Gérard de Roussillon, composées en i858- 1859, dès l'École, furent publiées en i86o>''; en 1861, il découvrit à la Biblio- thèque de Châlons-sur-Marne le manuscrit de la Chronique de Jean le Bel, décrit au xviii' siècle mais considéré depuis comme disparu, qui devait renouveler la connaissance de Froissarl ' ; il ouvrit en janvier 1 865 , à l'Ecole des chartes, un cours libre, dont des fragments ont été imprimés'^', sui- l'histoire de la littérature proven- çale, un champ oîi il était dès lors considéré comme sans rival; la même année, il faisait connaître . par une édition princeps, accompagnée d'une traduction , le poème
'■> E. Stengel, dans la Zeitsclnifl fiir toma- ''' Ecole impériale des chartes. Cours d'histoire
nische Philologie, t. \, p. i55. delà littérature iirovençale {Paris, ln\f>r. A. Laine
''' Bibliothèque de l'Ecole de< chartes , 'y se- et J. Havard). C'est un prospectus. La leçon
rie, t. V, p. igS. d'ouverture a paru dans la Revue des cours
''' Ibid., 5* série, I. M, p. 3l-()^. littéraires, e\ k fari . —Cl. Bibliothèque de l'Ecole
''' Comptes rendus de l'Académie des Inscrip- des chartes, 6* série, t. 1", p. 4oi-442. tiens, séance du 18 octobre 18G1.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxni
(le Flamenca, un des chefs-d'œuvre, sinon le chef-d'œuvre, de l'ancienne littérature en langue d'oc"'; c'est aussi en i865 que, chargé par le Ministère de l'Instruction publique d'une . mission littéraire en Angleterre », il commença l'exploration systé- matique des bibhothèques anglaises et, comme entrée de jeu, mit la main, entre autres choses, sur la traduction française, exécutée par frère Jean du Vignai, d'un fragment considérable de la chronique latine perdue de Primat, moine de Saint-Denis, dont on ne connaissait alors que le nom'^'. Telles furent, en raccourci, les « enfances » de cet esprit lucide et puissant, servi par un courage et une force de travail tout à fait exceptionnels.
Cette première période de la vie de Paul Meyei- s'achève en i865. Or, c'est cette année-là, le 29 décembre, que Gaston Paris, présenta à la Sorbonne, comme thèse de doctorat, ï Histoire poétique de Charleniagne. La France avait donc, enfin, en ligne deux champions qui lui assuraient le premier rang sur le terrain de sa philologie nationale. Et ces deux émules, dont les qualités étaient, pour ainsi dire, complé- mentaires, étaient unis d'une étroite amitié. Ils avaient décidé, d'ailleurs, d'associer leurs efforts.
Paul Meyer, dans sa notice sur Gaston Paris, jiubliée en tète du tome XXXIJI de YHistoire littéraire (1906), a raconte, avec une autorité incomparable, les origines des entreprises où s'entrelacèrent bientôt l'action de son illustre ami et la sienne : il a dit dans quel esprit fut fondée, principalement par leurs soins, la Revue critique d'histoire et de littérature, dont le premier numéro parut le 6 janvier 1866, et pourquoi ils créèrent, de concert, au commencement de l'année 1872, sous le nom de Romania, « une revue spéciale pour les langues et les littératures romanes pendant " le moyen âge, la France occupant naturellement la première place, comme ayant « la littérature la plus considérable et la moins connue ... Ce qu'il a dit là que Gaston Paris avait pensé, ib l'avaient pensé ensemble, et même il l'avait sans doute, en partie, suggéré. Nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur à ces pages magistrales.
.. C'est dans la Romania, dit-il, que Paris a publié, à partir de 1872 , ses travaux « les plus originaux sur la linguistique française et sur notre ancienne littérature. «La même chose est vraie de lui, quoiqu'il ait aussi beaucoup écrit ailleurs, notamment dans le Bulletin de la Société des anciens textes français (fondée en 1875), qu'il fut longtemps presque seul à alimenter. Dans son âge mûr, il souriait parfois de l'em-
'■' Le roman de Flamenca, publié d'après le (1866), p. 36a ; cf. ibid.. t. II ( i865), p. 638: manuscrit unique de Carcassonne, traduit et el A. MoWmer, Sources de l'histoire de France]
accompagné d'un glossaire (Paris, i865). t. HI, n" 353o-253i
'*' Archives des Missions, 2" série, t. III
i.
xx,v NOTICE SUR PAIIF. MEYER.
barras où seraient un jour les érudits qui s'occuperaient de dresser la noinonclalure de ses publications et il se faisait volontiers fort, si sa « bibliographie » paraissait de son vivant, d'en remontrer à l'auteur. Pour ce motif, ou pour tout autre, la liste de ses publications n'a pas été dressée. Ce n'est certes pas ici le lieu de l'esquisser, même en la réduisant à ce qui intéresse directement l'histoire littéraire de notre paysjusqu'à la fin du moyen âge. 11 faut pourtant jeter un coup d'oeil sur l'énorme bagage qu'il avait accumulé en ce genre lorsqu'il fut appelé, encore dans la pleine vigueur de son âge et de son talent, quoique relativement sur le tard, à la Commission académique où Gaston Paris l'avait précédé de onze ans.
Les écrits du moyen âge que Paul Meyer a découverts ou mis en valeur, seul ou en collaboration avec divers érudits, en en procurant un texte correct et en les munissant de dissertations, d'éclaircissements, de glossaires, etc., sont très nombreux. Citons le Bestiaire de Gervaise (1872), Blandin de Cornouailles ( 1 8 7 3 ) , Brun de la Montagne (1875), Un récit en vers de la première croisade Jondé sar Baadry de Boargueil (1876), le Débat des hérauts de France et d'Angleterre (1877), la Chanson de la Croi- sade contre les Albigeois (1870-1879), Daarel et Béton (1880), Haonl de Cambrai ( 1882), la Vie de saint Grégoire par frère Angier ( i883), les Fragments d'une vie de saint Tliomas de Cantorbéry ( i883), les Contes moralises de Nicole Bozon ( 1889), le roman d'£s<fcer en provençal (1892), i'EscoaJle (^iS^k), Guillaume de la Barre(i895). De 1891 à 1901 parut encore, en trois volumes, l'Histoire de Guillaume le Maréchal, régent d'Angleterre de 1216 à 1219, une des perles de la littérature française du moyen âge, enfouie jusque-là dans ia plus profonde obscurité. Nous ne résistons pas au désir de le laisser exposer lui-même les circonstances de cette magnifique trou- vaille, car elles sont caractéristiques du fait que le bonheur des grands découvreurs comme lui est dû, autant qu'à la chance, à une patiente, très patiente, méthode d'investigation. La chasse du manuscrit Savile, qui contient l'œuvre extraordinaire du biographe anonyme de Guillaume le Maréchal, a duré vingt ans :
Les manuscrits réanis à Li tin du xvi° siècle et au commencement du xvii' par divers membres delà famille Savile, el mis en vente publique , à Londres, le 6 février 1861, formaient assurément i'nne des coileclions les plus précieuses qui aient été mises aux enchèi'cs en ce siècle. . . J'assistais à la vente, à laquelle j'avais été envoyé par l'administration de la Bibliothèque impériale. Ce fut mon premier voyage en Angleterre . . . L'administration m'avait particulièrement signalé trois manuscrits qu'elle désirait acquérir. Quant aux autres manuscrits français , j'eus à peine le loisir de les fenilleler rapidement pendant la vente. Entre ces manuscrits, il en est un [le n° 5i ] qui avait excité vivement ma curiosité . . . J'avais cherché à savoir, le jour de la vente, quels étaient les acquéreurs des manuscrits qui m'intéressaient le plus particulièrement, et des renseignements que j'avais obtenus résultait ia certitude j^resque absolue que le manuscrit n° 5 1 avait été acquis par Sir Thomas Phillipps. Sir Thomas avait coutume d'imprimer, dans sa petite imprimerie de Middlehill,
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxv
le catalogue de ses manascrits par feuillets isolés, au fur et à mesure des accroissements de sa collection. Cette publication. . ., commencée en iSSy, parait s'être poursuivie jusqu'à la mort de Sir Thomas en février 1872... J'ai pu me convaincre qu'aucun des manuscrits de la vente Savile n'y figurait. . . Je demeurai néanmoins persuadé qu'il devait se trouver dans une partie non cata- loguée. . . Je n'hésitai donc pas à faire demander aux héritiers de Sir Thomas [en avril 1880], ce qu'était devenu le manuscrit 5i de la vente Savile, que je savais de source certaine avoir été acquis parle baronet en 1861. Le manuscrit fut trouvé; il porte actuellement dans la Bibliothèque de Middiehill le n° a5,i55. . .
Lorsqu'il sera connu, on jugera sans doute que la littérature française du moyen âge ne possède pas, jusqu'à Froissart , une seule cvuvrè, soit en vers, soit en prose, qui combine au même degré l'intérêt historique et la valeur littéraire; je n'excepte ni Villehardouia ni JoinvilleO.
Voilà les principales éditions que Paul Meyer a publiées à part, en forme de volume ou d'article étendu; les poèmes en langue d'oc (dont notre confrère s'était fait d'abord une sorte de spécialité) et les monuments de la littérature anglo- normande dominent , comme on voit , dans cette série ''". Mais c'est à peine la majeure partie de ce qu'il a mis de textes du moyen âge à la disposition des savants. Car il a, toute sa vie, dépouillé des manuscrits, transcrit ce qui s'y trouvait de neuf (sa connaissance de l'ancienne littérature et des études modernes qui s'y rap- portent lui permettait de le reconnaître avec une sûreté admirable) et communiqué au public ce qui en valait la peine, soit au fur et à mesure, soit lorsqu'il avait réuni, au cours de ses investigations, une quantité jugée suffisante de données apparen- tées. Telles sont, en ce dernier genre , ses dissertations sur Henri d'Andeli et le chan- celier Philippe (1873), sur Les premières compilations françaises d'histoire ancienne ( 1 885 ) et sur les Versions piwençalcs du Nouveau Testament {188^). Quant aux «Notices» de manuscrits et aux « Mélanges » , avec extraits , communiqués au fur et à mesure des rencontres, il suffit de parcoiu-ir les tables de la Romania et du Bulletin de la Société des anciens textes français pour avoir une idée de la masse très considé- rable de faits entièrement nouveaux que Paul Meyer a mis en circulation de cette manière modeste et précise, qui lui plut toujours entre toutes. S'il avait réuni en recueil, sous un titre commun, comme l'a fait B. Hauréau dans ses Notices et extraits de (quelques manuscrits..., ces « contributions » dispersées dans les périodi- ques, on en apprécierait mieux encore la richesse substantielle, la forme élé-
'"' Romania, t. XI, 188a, p. aa-a5. accompagné d'un vocabulaire, parut en 1901 ;
<'' 11 y faut ajouter une • deuxième édition, le second volume devait comprendre, avec
entièrement refondue», du roman de /''/ame/jf a, l'introduction de 1 865 remaniée, une traduc-
dont le t. 1" seulement, qui contient le texte tion intégrale.
XXVI NOTICE SIR PAUL MEYER.
gante et achevée. L'index général d'un pareil recueil serait un des vade-mccum du médiéviste.
Il avait infiniment d'esprit : du plus vif , du plus mordant. Il écrivait comme il parlait, avec une aisance, une désinvolture, une simplicité, une clarté et une pureté charmantes. Il voyait les choses de haut et ne se perdait jamais dans les détails. Nul enfin ne s'entendait mieux cjue lui à débrouiller, organiser, exposer. Les gens du monde pourraient donc s'étonner qu'il ait consacré une si grande partie de sou activité à des éditions et à des rapports d'explorateur, par le procédé sans préten- tion, et comme naïf, des u notices et extraits ». D'autant plus qu'il avait commencé, comme tout le monde, avec d'autres ambitions, et cjue, quand il consentait, par hasard, à disserter sur des questions générales ou à faire ce que le grand public appelle «un livre», il y excellait. Voir ses leçons ou conférences De l' influence des tivabadours sur la poésie des peuples romans'^^ et Des rapports de la poésie des trouvères avec celle des troubadours ''^', qui donnent un aperçu de ce que cette « Histoire géné- rale de la littérature provençale », à lacjuelle il avait rêvé dans sa jeunesse, aurait pu être ; ou encore ses « Vues sur l'origine et les premiers développements de l'histo- <i riographie française » ''', son discours De l'expansion de la langue française en Italie pendant le moyen â(je^"K Témoin, surtout, son livre sur Alexandre le Grand dans la littérature française du moyen âge, conçu de bonne heure pour faire pendant au livre de Gaston Paris sur la légende de Charlemagne; Paul Meyer aimait à dire, plus tard, en souriant, qu'il avait toujours compté sur ce livre-là pour « entrer à l'Institut », et que, pourtant, il n'en avait pas eu besoin, ayant été admis dans la Compagnie trois ans avant de favoir fini '■^K Mais à qui serait un peu surpris de cette sorte d'ascé- tisme intellectuel, il faut conseiller la lecture de la notice qu'il a consacrée à Barthé- lémy Hauréau, dans notre t. XXXII. Après avoir écrit son Histoire de la philosophie scolastique, B. Hauréau n'avait plus fait de « livres » et s'était lancé sans esprit de retour sur la mer illimitée des recherches dans les manuscrits. Il s'en était justifié en ces termes : «Ce genre de labeur ne saurait prétendre aux suffrages du public, qui « ne peut louer que ce qui l'intéresse; mais il a beaucoup d'attraits pour celui qui s'y CI consacre. Oui, sans doute, c'est une humble étude; mais combien d'autres compen- « sent la peine qu'elles donnent en permettant de dire aussi souvent : « J'ai trouvé''''. »
'') Romania, t. V, p. 357. ''' T. l". Textes ; t. H, Histoire de la légende
'') Ihid.,l. XIX, p. 1. (Paris, 1886).
''' Dans \' Annuaire-Bulletin de la Société de '*' B. Hauréau, Notices et extraits de quelques
l'histoire de France, 1890, p. 89. manuscrits latins de la Bibliothèque nationale,
'•' Rome, 190.4. t. l"(Paris, 1890), p. vi.
NOTICE SUR P\UL MEYER. xxvii
Paul Moyen, faisant cerlainement , à co propos, un retour sur lui-même, l'en a approuvé de son côté , par ces lignes d'un accent vraiment autobiographique :
Ces investigations piolongées à lra\ers des collections du manuscrits ineiplorés ont un intérêt singulier pour celui qui les entreprend avec une préparution suiïisante, c'est-à-dire avec la notion exacte des lacunes de nos connaissances et le désir d'arriver à les combler. C'est comme un voyage d'exploration dont la fatigue est compensée par l'attrait de la découverte qu'on fait quel- quefois et qu'on espère toujours. 11 est dillicile de s arracher à cette douceur quand on l'a une fois éprouvée: on regrette presque le temps emplové à mettre en œuvre les éléments recueillis; on le fuit de la manière la plus brève, pour retourner au plus tôt au\ recherches un instant interrompues, et on perd promptement le goût des travaux d'ensemble, dont une partie seule- ment consiste en nouveautés , le reste n'étant que résumé et compilation.
On peut dire de lui, comme il l'a dit d'Hauréau, que «le dépouillement des « manuscrits fut son occupation préférée ». Mais il faut ajouter que, comme Ilauréau, il a eu l'art do manifester, dans l'exposé des résultats de ses recherches de cet ordre, tout ce que sa pensée avait d'originalité et de vigueur. Ces deux savants, dont la for- mation première et l'allure n'avaient rien d'analogue, ont eu en commun, avec la plus haute conscience scientifique et une certaine appréhension de la synthèse, le goût et le talent de s'exprimer tout entiers — incidemment, pour ainsi dire — dans des monographies étroites : notices sur des textes anciens et aussi sur des livres nouveaux. Comme leurs notices de manuscrits, les comptes rendus d'Hauréau dans le Journal des Savants et de Meyer dans la Romania sur les ouvrages récemment parus sont, enefïet, un trésor inépuisable de notions, de faits, d'idées, de rappro- chements, de .suggestions; ils ont teim en haleine, parlois en respect, tonifié et ravitaillé les spécialistes pendant une ou deux générations. 11 est difficile et laborieux de prendre aujourd'hui connaissance de ces innombrables pages éparses, d'un caractère en apparence éphémère et dont 1'» actualité » s'est évaporée, mais telle en est la plénitude qu'on ne s'en dispense pas sans dommage.
Lorsque Paul Meyer fut élu membre de notre Commission, il y eut aussi- tôt un grand rôle à deux titres distincts, comme «éditeur» et comme «auteur».
D'abord, comme «éditeur». Les fonctions d'éditeur, c'est-à dire de secrétaire de la rédaction, avaient été exercées jusque-là par les membres les plus exclusivement dévoués à l'entreprise , et qui en avaient lait l'essentiel des préoccupations de leur vie scientifique, tels que Victor Le Clerc et Barthélémy Hauréau. À la mort d'Hauréau ( 1896), elles furent assignées, comme de juste, à P. Meyer. G. Paris et L. Delisle avaient d'autres intérêts considérables que l'Histoire littéraire, et même que l'histoire Httéraire sans italiques. Et surtout P. Meyer était connu pour ses aptitudes de
XXVIII NOTICE SUR PAUL MEYER.
melteur en œuvre. C'était lui, à n'en pas douter, qui avait successivement dessiné les cadres de la Revue critique et de la Romania, veillé à ce que ces revues et les publications de la « Société des anciens textes français » se présentassent sous une forme intrinsèquement harmonieuse et typographiquement très agréable. Dans son association avec G. Paris comme directeur de grandes publications, Paris a plutôt joué le rôle de Marie; Meyer s'était plutôt réservé celui de Marthe. Tout le désignait donc. Son action, à cet égard, commença à se manifester dès le t. XXXII, le pre- mier qu'il ait fait paraître, en 1898. Ce volume est muni d'une Table générale des t. XXV à XXXII (dressée par M. Delisle, président delà Commission) : tVHistoire « littéraire, dit l'Avertissement, rédigé par l'éditeur, est, en somme, un recueil de " monographies indépendantes, auxquelles il serait impossible d'imposer un classe- « ment rigoureux. Des tables fréquentes sont le seul moyen de remédier aux irrégu- « larités que comporte la rédaction d'une oeuvre collective. » A partir du t. XXXIII (1906), certaines dispositions typographiques, qui n'avaient pas été modifiées depuis le xviii* siècle, sont changées. L'aspect de Y Histoire littéraire est sagement modernisé; plus de manchettes, des notes: «D'où résulte un double avantage. « D'une part, nous élargissons la justification, et, d'autre part, les renvois, formulés «d'une façon souvent trop brève lorsqu'ils étaient placés dans la marge, ont pu " être donnés d'une façon assez complète pour nous permettre de supprimer la «table des ouvrages cités, qui, jusqu'ici, a occupé dans nos volumes une place « considérable. » Toutes ces innovations excellentes, qui seront durables, étaient évidemment dues au nouvel « éditeur ». Qu'il en soit remercié Jtei.
Ensuite, comme» auteur ». Sa collaboration officielle commenceaveclet.XXXII'"; elle ne s'est malheureusement continuée que jusqu'au t. XXXIV. Mais, nos trois derniers volumes renferment , sous sa signature , des morceaux de premier ordre.
La littérature provençale avait été presque entièrement laissée de côté par la Commission depuis qu'elle ne comptait plus de provençaliste , c'est-à-dire depuis la mort d'Emeric David en 1889'^'. Le premier soin de Paul Meyer, allant au plus pressé, fut de combler les lacunes ainsi béantes, en remontant à la fin du xui' siècle, où elles apparaissaient. De là les notices qu'il consacra à Guillaume Anelier, de Toulouse, auteur d'un poème sur la guerre de Navarre ( 1 27/i-i 276); à Matfré
''' Rappelons que ce sont de» découvertes crés au xiv* siède, on ne relève que la notice
de Paul Meyer qui avaient permis de rédiger sur Philippine de Porcelet (cf. la note précé-
antérieurement les articles consacrés à Jean de dente), et deux notes complémentaire» de
Journi (t. XXV, p. 619-623) et à Philippine G. Paris sur Blandin de CornouaUles et sur
de Porcelet (t. XXIX, p. 5a6-546). /an/re (t. XXX, p. laietp. ai5).
''' Dans les sept premiers volume* eonsa-
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxix
EriDengau de Béziers, auteur du Breviari d'Amor (achevé après lago); aux trouba- dours Guillem d'AutpoI , Guillem de Murs, Peire et GuiHem, Bertran Carbonel, Jacme Mote, Motet, Ponçon, Johan de Pennes, Guillaume de l'Olivier, Bérenguier Trobel, Rostanh Bérenguier; aux «Légendes pieuses en provençal» (Vie de sainte Enimie, par Bertran de Marseille; Vie de sainte Marie-Madeleine; Vie de sainte Marguerite ; Evangile de Nicodème; Évangile de l'Enfance). De ces articles, celui sur le Breviari d'Amor, immense encyclopédie de forme allégorique où la théo- logie et fhistoire religieuse tiennent la plus grande place et se trouvent bizarrement juxtaposées à des préceptes sur l'amour empruntés aux poésies des troubadours, est , de beaucoup , le plus important. Paul Meyer connaissait cet ouvrage à fond et de longue main, car il avait établi lui-même, jadis, le texte des cinq premières livraisons de l'édition Azaïs, publiées de i86q à 1866.
Cela fait, notre ëminent confrère cessa presque entièrement de rédiger des notices individuelles sur des écrivains, du type ordinaire de celles qui ont figuré, de tout temps, dans notre recueil'", pour entreprendre, sinon inaugurer, des articles d'une espèce absolument nouvelle. Essayons d'expliquer comment, et pourquoi.
Lorsqu'on a pris l'habitude de faire son principal de dépouiller les nianusci ils pour y relever ce qui s'y trouve de nouveau, de quelque date et de quelque nature que c^ soit, il devient peu tentant de s'astreindre à rechercher systématiquement dans les collections tout ce qui concerne un sujet précis ou un auteur déterminé, surtout si l'on n'a pas déjà eu, au cours de ses dépouillements antérieurs, l'occasion de commencer à se faire un dossier sous la rubrique de ce sujet ou de cet auteur. Or, les collaborateurs de l'Histoire littéraire de la France sont obligés, par la règle de leur institution, de traiter, non pas les auteurs sur lesquels ils ont déjà des dossiers, qui les intéressent de longue date ou particulièrement, mais ceux que l'ordre des temps leur impose. L'Histoire littéraire en était arrivée depuis longtemps au xiv* siècle quand Paul Meyer eut à s'en mêler; sans doute il avait par devers lui, sur le xiv° siècle comme sur toutes les autres périodes de notre histoire littéraire, des notes en abondartce; mais il n'avait pas de préférence pour cette époque (qui donc en a ?), et l'ordre des temps ne pouvait manquer de lui imposer des sujets qu'il n'eût pas choisis. Des sujets en vue desquels il serait obligé de se livrer à l'opération inverse de celle qu'il avait toujours pratiquée , plus fructueusement que personne : chercher
''' li n'a plus donné qu'une courte notice qu'elle comporte des renseignements inattendus
sur le médecin Pons de Saint-Gilles el sur le sur des ouvrages qui n'ont d'autre lien avec
manuscrit qui nous a conservé sa compila- Pons de Saint-Gilles que de se trouver dans
lion (t. XXXll, p. 594-595). Encore cette le même manuscrit qu'un libellas de cet
notice si courte est-elle exceptionnelle en ceci auteur.
HIST. LITTÉR. XXXV. g
XXX NOTICE SUR PAUL MEMIR.
n'importe où, au risque d'omissions graves, des données .>)Ur une question proposée, au lieu de chercher librement n'importe quoi de neuf à des sources définies et clioisies. Or, il est aisé de se persuader que la seconde de ces méthodes est non seulement plus agréable, mais plus rationnelle et moins iiasardeuse que la première. Et, en eiïet, il y a du vrai. La première est et restera un pis-aller, tant qu'il y aura encore des régions de sources inexplorées. Elle ne se justifie que par cette considé- ration, mais capitale, (|uil est utile, même nécessaire, décrire l'histoire sans attendre qu'il soit possible de le faire avec la certitude de ne laisser de côté aucune infor- mation, c'est-à-dire vraiment bien. Voilà, semble-t-il, des motifs qui ont pu agir pour détourner inconsciemment Paul Mever, tel que nou^i l'avons connu, de la routine oïdinaire des notices individuelles sur le premier venu.
Mais voici des motifs indubitables et beaucoup |>lus puissants. Des hommes consciencieux , venus à fhistoire littéraire du moyen âge d'autres régions de l'érudition, peuvent toujours, la preuve en a été maintes Ibis administrée, composer sur d'an- ciens auteuisdes notices individuelles qui réalisent un progrès par rapport aux connais- sances antérieures. Mais il n'appartient qu'aux érudits dont toute la vie fut dévouée à cette discipline d'entreprendre et de mener it bien, >oiis lorme de " notices collec- tives », des revues ou tableaux d'ensemble «embrassant toute une série d'ouvrages « anciens qui présentent entre eux des analogies, de fond ou de forme, et dont il y a « intérêt à traiter simultanément». Or, Paul Mejer se savait éminemment propre à ce genre de travail, récompense, privilège et couronnement de longs travaux anté- rijuis. Il résolut donc de s'y livrer, estimant que c'était là, pour lui, la meilleure manière d'employer, dans l'intérêt général, son expéiience et ses collections incom- parables.
Il y avait déjà, en ce sens, quelques précédents. Duni Brial (au t. XV) et Victor Le Clerc (au t. XXI) avaient jadis consacré de longues notices collectives à la littéra- ture annalistique. Léupold Delisle, avec sa rare connaissance des dépôts de manu- scrits, avait artistement groupé des renseignements sur de> ouvrages de même nature, pour la plupart anonymes : sur les « Anciens Catalogues des évêques des églises de France » (t. XXIX), sur les Traités De proprietaliltus rerum (t. XXX), sur- les auteurs de Recueils (ÏEaempla à l'usage des prédicateurs et sur les Livres d'images (t. XXXI), sur des « Chroniques et annales » monastiques (t. XXXII). G. Paris avait intitulé un article (t. XXIX) : « Chrestien Legouais et autres traducteurs et imitateurs d'Ovide ». Dans l'Avertissement du t. XXXIII, Paul Meyer écrit officiellement à ce sujet, en qualité d'éditeur :
Nous serons de plus en plus amenés à rédiger des notices collectives sur des écrits d'un même genre qui, pris isolément, n'olIVent qu'un assez faible intérêt, tandis que, groupés, ils peuvent
NOTICE SUR P\l L MEYER. xnxi
donner lieu à des conclusions générales d'une certaine portée. . . C'est ce que nous tentons dan» le présent volume pour les Coutnmiers normands, oeuvres d'époques diverses dont il n'eût guère été possible d'établir les rapports en des notices séparées, et pour les innombrables Vies de saints traduites en prose française au cours du xiii" siècle et au commencement du xiv*. 11 est assez indifférent que des notices de ce f;enre, où il n est guère question que d'écrits non datés, soient placés à un endroit ou à un autre. . .
Des notices collectives ainsi annonrées, Paul Meyer en a rédigé deux : Versions en vers et en prose des • Vies des Pères « (t. XXXIII, p. a 58-3 27), Légendes hagiographiques en français (p. 32 8-458). — Dans ia première, il fait connaître, en les classant rigoureusement, des œuvres d'édification dont le fond est sans originalité, mais dont la genèse et la forme jettent un jour curieux sur une partie de la littérature française que la critique avait complètement négligée. Tirant presque exclusivement ses matériaux de manuscrits inédits de la France et de l'étranger, il ordonne ce cpii était auparavant un véritable chaos. Et de ce chaos émergent trois figures littéraires intéressantes: un poète, Henri d'Arci, frère du Temple, qui vivait en Angleterre, au comté de Lincoln, dans la seconde moitié du Mif siècle; un polygraphe, plus ancien d'une génération au moins, Wauchier de Denain, en qui, par un trait de cette merveilleuse perspicacité dont il a donné tant de preuves, Paul Meyer recon- naît, avec toute vraisemblance, l'un des continuateurs du Perceval de Chrestien de Troyes et l'auteur d'une ■< Histoire universelle » depuis Adam jusqu'à .Iules César; enfin un prosateur anonyme, traducteur de divers recueils, que notre confrère revendique pour ia France, bien que les deux manuscrits qui font connaître ses ouvrages aient été exécutés en Italie'". — L'article sur les Légendes hagiogra- phiques, fondé sur quantité de monographies antérieurement publiées par l'auteur dans la Romania et dans le recueil académique des Notices et extraits des manuscrits , est plus étendu encore. Il est divisé en deux parties, dont chacune a son objet propre, et la première, qui est une nomenclature de toutes les légendes versifiées depuis les origines delà littérature française jusqu'à la fin du moyen âge, une forme tout- à-fait inaccoutumée dans YHistoire littéraire. « Ce n'est pas proprement une notice : • c'est une sèche bibliographie en ordre alphabétique »'*', précédée d'une introduc- tion à grands traits.
La raison pour laquelle nous avons cru devoir nous écarter de notre méthode haoïtuelle, dit à ce propos Paul Meyer, est celle-ci ; les légendes en vers, toutes traduites ou imitées de composi- tion» latines, foisonnent dans notre littérature du xii* au xv' siècle. Nous en avons relevé plus de
<"' Les conclusions de P. Meyer sur ce point traductions de l'Anonyme montre qu'il était ent été récemment contestées (Bomnnin, t. XL, originaire de l'Italie du Nord. 1911, p. 6o5); l'étude lexicographique des ''' T. XXXIII, p. iv.
xxxu NOTICE SUK PAUL MEYER. .
deux cents, et nous n'osons aHiirncr que notre énutnération soit complète. Entre ces poèmes il en est plusieurs qui ont été composés à une époque à laquelle nous ne sommes pas encore arrivés : nous les signalons à nos successeurs; mais la plupart appartiennent à une période, maintenant close, de ÏHistoirc Itltéiaire, et bien peu cependant ont obtenu de nos devanciers les notices aux- quelles ils avaient droit. Nous avons voulu qu'ils eussent du moins une mention dans notre œu>re , et, sans leur consacrer des notices qui ne seraient plus à leur place, nous avons iru devoir fournir des indications bibliographiques qui seront utiles aux personnes disposées à en entre- prendre l'étude.
Dans la seconde partie df cet article capital (« Légendes en prose »), l'auteur étudie d'abord les légendes isolées, puis les légendes groupées. Les groupes qu'il établit sont au nombre de sept; mais il lui faut encore passer en revue des manuscrits qui ne rentrent dans aucun de ces sept groupes, et constituer une dernière section pour les légendiers classés suivant l'ordre de l'année liturgique. A ia fin est la liste, par bibliothèque, des manuscrits utilisés, qui s'élèvent au chiffre de quatre-vingts.
Ces détails étaient nécessaires pour faire mesurer l'importance des innovations introduites par l'éditeur de notre t. XXXIII. Jusque-là les principes n'avaient pas été contestés que l'ordre chronologique, d'après la date de la mort des auteurs étudiés, devait être, autant que possible, suivi par les collaborateurs de YHistoire littéraire; et que l'on ne devait, sous aucun prétexte, ni revenir sur le passé : « Ce qui est fait est fait», ni empiéter sur l'avenir. En réalité on avait donilé, parfois, de légères entorses à ces principes, dans des cas particuliers; mais ils n'en subsistaient pas moins '". Or il est posé désormais que l'ordre des temps n'est plus à prendre en considération, dans l'un ou l'autre sens, s'il s'agit de cette nouvelle espèce d'articles, dont celui sur les Légendes hagiographiques en français est et restera probablement longtemps le spécimen le plus typique : « Articles sur dés écrits du même genre, — pour la plupart anonymes et sans date précise, — qui, groupés, peuvent donner lieu à des conclusions générales, alors que, pris à part, chacun paraîtrait insigni- fiant i, ou plutôt serait purement et simplement omis, par la force des choses. — Ce n'est pas tout : il est désormais licite de réduire certains articles , ou certaines parties d'articles de ce type, à de simples énumérations en forme de répertoire biblio-
'"' On avait employé divers artiGces pour «Pour cette partie de notre travail (les écrivains
repêcher, après que l'ouvrage avait déjà dépassé juifs français du xiv* siècle), il doit nous être
le commencement du xiv" siècle, des écrivains permis d'embrasser de longues périodes et de
du xnr méconnus ou oubliés; et c'est ce qui devancer l'ordre des temps » (t. XXXI, p. 35 i);
contribue à expliquer que tant de volumes c(. ib. .p- "jàQ: thés rè^a de VHistoire littéraire
aient été consacrés jusqu'à ce jour au xiv* siècle , seraient trop fortement violées si nous donnions
sans en avoir dépassé le premier quart. — On ici la suite des rabbins du xv* siècle • ; et on la
avait même «devancé l'ordre des temps»: donne tout de même.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xui,,
graphique. Paul Meyer, qui avait renoncé de bonne heure aux a livres ■ pour ies «notices», avait ainsi abouti logiquement, au sommet de sa carrière, à condenser, dans certains cas, les «notices» mêmes sous la forme parfaitement impersonnelle, dépouillée et sublimée de nomenclatures comme celle qui occupe les pages 33 7 ;i 378 du t. XXXIII.
Dans quelle mesure ces nouveautés radicales se consolideront-elles, à l'avenir, pour devenir des traits caractéristiques de ce magnum opus des Bénédictins qui, depuis près de deux cents ans , a déjà plusieurs fois changé d'aspect ? Nous ne saurions le dire. Nous savons seulement que Paul Meyer était décidé à persévérer, quant à lui, dans le chemin qu'il avait frayé. Le seul article qui figure sous ses initiales au t. XXXIV (il était déjà fatigué au cours des années pendant lesquelles ce volume, paru en 191 d, fut préparé) est une revue générale des Bestiaires (c'est-à-dire des imita- tions françaises d'un original qui appartient à la littérature grecque), composés à quelque époque du moyen âge que ce soit — dont aucun, du reste, n'est du xiv" siècle. Il avait l'intention d'en faire autant pour les Lapidaires '". 11 avait bien d'autres projets. Et, comme il n'a jamais craint de faire part au public de ses desseins '2', nous les connaissons. Il envisageait au moins trois grandes notices collec- tives où il aurait fait entrer, comme dans celles qu'il a effectivement achevées, la quintessence de recherches continuées pendant cinquante ans. Afin d'utiliser les notes qu'il avait prises toute sa vie dans les manuscrits médicaux, en souvenir des relations qu'il avait entretenues pendant sa jeunesse avec Ch. Daremherg, le savant historien des sciences médicales, il «préparait pour l'Histoire littéraire un article général sur des ouvrages de médecine qui appartiennent à la première moitié du XIV" siècle»"'. D'autre part, l'étude des manuscrits médicaux l'avait conduit à celle d'une autre littérature technique du moyen âge, difficile et inconnue entre toutes : les manuscrits des astrologues et des géomanciens de profession; et ce qu'il a publié là-dessus, dans la Romania et ailleurs, qui est très considérable, donnerait à penser, s'il ne l'avait d'ailleurs affirmé expressément '"', qu'il se proposait de rassemble!- de même pour notre recueil, dans des notices collectives, des notions sur l'ensemble de ces écrits qu'il était seul à posséder. Enfin il serait surprenant qu'il n'eût pas pensé à traiter dans le même cadre des monuments de la littérature morale ou catéchétique , à intentions pieuses ou édifiantes , en prose française , depuis les origines jusqu'au milieu ou plutôt jusqu'à la fin du xiv' siècle. Province riche, très riche,
'■) Romania, t. XXXVIII (1909), p. 44- ''' Romania, t. XLIV (1915), p. 162.
'*' «Occupé depuis bien des années à ras- '*! Romania. l. XXVI (1898), p. aa5, 478.
sembler les éléments d'un grand dictionnaire Cf. t. XXXII (igoS), p. 589. de la langue d'oc. . . » [Romania , 1. 1", p. ^oi).
XXXIV NOTICE SUR PALL MEVER.
mais très peu connue, de notre histoire littéraire, parce que la plupart des opuscules qui la composent sont inédits, anonymes, sans date, et jouissent, en outre, dune réputation a priori, bien établie, de platitude et de nullité. Mais Paul Meyer, (|ui avait comme un faible pour les productions obscures et, littérairement, mal famées comme celles-là, et qui avait déchiffré patiemment, toute sa vie, dans les très nom- breux manuscrits où se trouvent ces sortes de compositions, à partir du xni° siècle, plus d'homélies que n'en avala jamais chanoine ou dévote du temps passé, savait qu'il y a des parcelles d'or dans cet amas. Ou plutôt il s'était rendu compte que, ainsi qu'il l'a dit avec son ton tranquille, sans emphase aucune, des traductions de «Vies de saints» — autre partie de la littérature d'édification, autre objet de sa curiosité scientifujue — - « ces écrits peuvent donner lieu à des conclusions générales « d'une certaine portée ». l\ avait publié par avance, notamment dans le Bulletin delà Société des anciens textes français, les notices de plusieurs manuscrits consacrés aux écrits de cette veine ; il en connaissait davantage. Il est certain qu'un exposé générai de lui sur une matière comme celle-là, à peine mentionnée dans les tableaux d'en- semble classiques de l'histoire d<' la littérature française au moyen âge, eût été en vérité une révélation.
« Dans les premiers momens où un auteur forme un dessin de cette nature, « rien ne lui coûte, et sa propre complaisance lui aplanit tous les obstacles. . . Mais « combien d'ouvrages qui n'ont subsisté que dans l'imagination de leurs auteurs? » Ainsi s'exprime dom Filipe Le Cerf de La Viéville en i 726, à propos du prospectus de l'Histoire littéraire de la France, que dom Rivet venait de lancer'". Paul Meyer se rendait très bien compte que plusieurs existences ne lui auraient pas suffi pour venir à bout des travaux qu'il avait entrepris ou médités. 11 avait d'ailleurs d'autres choses sur les bras que celles dont nous avons parlé et, avant de faiblir, il en a réalisé encore beaucoup : signalons notamment la recrudescence de sa collaboration , de 189131 908 , aux Notices et e.rtraiti des manuscrits de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, publication rigoureusement appropriée à ses habitudes et à ses goûts, qu'il considérait avec raison, de même que B. Hauréau l'avait fait longtemps du Journal des Savants, comme une sorte d'auxiliaire de VHistoire littéraire; c'est là qu'il a fait paraître quantité d'additions et de corrections aux parties anciennes et vieillies de noire ouvrage, dont une des plus importantes, sur les Corrogationes Pivmetliei d'Alexandre Neckam (t. XXXV, 1897), ^t^^*^^ ^^^ services qu'il aurait rendus à l'histoire de la littérature en latin du moyen âge, s'il avait eu le temps de s'en occuper. Cependant, il vieillissait. On ne besogne pas impunément, toute sa vie,
'■' D. Filipe I>e Cerf de La Viéville, Diblio- Congrégation de Sainl-Maiir (La Haye, 1726), tlièqae historique et critique des auteurs de la p. 4a8.
NOTICE SUR PAUL MEYER. xxxv
beaucoup plus des huit heures par jour réglementaires du credo social de nos jours, avec un appétit de travail perpétuellement inassouvi. Dès 1891, il avait songé, ainsi que Gaston Paris, à se décharger des soins matériels que la direction de la Romania leur imposait à tous deux : « J'avais entrepris des recherches de longue haleine que je ne terminerai jamais,. . . sans parler de mes occupations ofTicielles'". » Il ne lui parut, néanmoins, possible de confier à d'autres mains le sort de leui" « lille » qu'en 1911. Mais, tlès 1 906, il avait abandonné sa chaire du Collège de France, pour i»e garder (|ue la direction et son enseignement de l'Kcole des chartes, les moins rému- nérées des places que l'évidence de son mérite lui avait values jadis, sans qu'il en eût jamais sollicité aucune. Il faiblissait :« Mes forces ont beaucoup diminué» (1912). 11 s'atténuait. Des jours vinrent, prématurément, où celle lumineuse intelligence fut envaiiie par une fatigue incurable et sombra enfin dans la nuit.
Paul Meyer a siégé pour la dernière fois à la Commission de V Histoire littéraire le 3 mars 1916. Il n'est mort qu'un an et demi ajirès.
Nous passons notre temps à écrire les faits et gestes de personnages qui ont disparu depuis six cents ans, après avoir recueilli scrupuleusement les moindres traits qui laissent entrevoir ou soupçonner leur manière d'être. Mais nous n'en connaîtrons jamais aucun, par les témoignages presque toujours indigents dont on dispose; à distance, comme nous avons connu directement Paul Meyer. Il serait donc assez sin- gulier de prendre une dernière fois congé de ce maître, après avoir esquissé son œuvre scientifique, sans parler de l'homme qu'il était: un homme d'une sincérité absolue (ce qui, comme l'a dit un humoriste anglais contemporain que l'on interro- geait sur son secret, est la meilleure manière «le faire des plaisanteries, et aussi de terrifier les gens); qui allectait d'être extraordinaircment malicieux et qui avait des parties de candeur; que l'on croyait arrogant , et qui était délicat, modeste, môme timide ; qui paraissait parfois méchant, et qui était bon. Une sorte de pudeur, (|u'il aurait approuvée, nous interdit pourtant de développer ici nos souvenirs et nos sentiments à cet égard. Qu'il suffise de dire qu'il a e.\ercé sur nous, qui passâmes tous successivement sous sa férule, en même temps qu'une grande action intellec- tuelle, un autre genre d'influence encore, quasi morale : f image que nous gardons de lui est incorporée à notre idéal de l'érudit, c'est-à-dire que cet idéal est, dans une large mesure, à son image.
A. T. et C. L.
'■' Romania, t. XLI (1912), p. 2.
HISTOIRE
LITTÉRAIRE
DE LA FRANCE.
GUILLAUME DURANT LE JEUNE, ÉVÈQUE DE MENDE.
SA VIE.
Lt' i^ oclobre i3o4, une scène, très probablement unique dans les fastes de l'histoire ecclésiastique, se déroulait à Mende.
L'évêque réunit, ce jour-là, les chanoines de l'église cathédrale et quelques autres témoins; devant cette assemblée il fait, en son nom et aussi, dit-il, au nom de ses successeurs, une déclaration solennelle :
Quoi que dans le présent il puisse dire ou faire, quoi que "dans le passé il ait dit ou fait, quoi que dans l'avenir il puisse dire ou faire au regard de tels seigneurs et de tels chevaliers (il les nomme tons), quelque désaccord qu'il puisse y avoir entre ses paroles ou ses actes, passés ou futurs, le prélat atteste qu'il ne remet, ni n'entend remettre auxdits seigneurs et chevaliers, ou à l'un d'eux, l'injustice qu'ils lui ont faite à lui-même, et en sa personne à l'église de Mende, ni la commise de tous biens qu'ils ont encourue par suite du complot ourdi, cette année même, contre sa personne et contre ses biens. Il veut que ce qu'il vient de proclamer soit consigné en un instrument officiel.
C'est ce procès-verbal même dont le libellé, aujourd'hui encore
HIST. I.ITTER. XXXV.
3 *
2 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
vibrant, ressemble à la parole sténographiée, c'est ce procès-verjjal que nous avons sous les yeux '''.
Celui qui le fit dresser est Guillaume Durant le Jeune '^', évêque de Mende, dont nous voudrions dire ici la vie agitée et tourmentée, l'àme ardente et passionnée; ardeur et passion unies, comme on le verra, au génie des alTaires et à l'instinct de la diplomatie. Guillaume a abordé, dans son œuvre principale , le De modo celebrandi concilii, des sujets de morale très variés; on ne sera pas surpris qu'il ait oublié de dire un mot du pardon des injures.
Nous rencontrerons bientôt sur notre route ces conspirateurs aux- quels l'évêque vouait, en i3o4, une rancune tenace; cette protes- tation à toujours, restée inconnue des historiens, nous aidera à scru- ter la situation réciproque du prélat et des barons, nous permettra peut-être de mieux saisir la pensée de ce haut dignitaire au cours des années dilhciles durant lesquelles il prépara l'acte le plus important de son épiscopat, le pariage de iSo", nous permettra enfiç de lire sans embarras ni hésitation certain document qui, vers la fin de la vie
•'' 11 Noveiint,elc.,quod revcrendus inChristo 0 pater doininus G. , episcopus Mimatensis pre- 11 dictus , existens Mimate , in capitule , in prt'sen- 11 tiu canonicoruin et testium infrascriptoruin Il dixit ol protestatiis fuil, suo et successoruin suo- 11 ru m nomine, quod pnr allqua verba vel farta 11 qu(> lacial, (lical, habucrit, liabeat vel habobil in « rului'uiii, quecuraque lueiint illa et quantum- 11 cumqiie dissiniilia , cuin nobilibus viris A. , do- « luino de l'etra . et doniinis Guig. de Senareto , iiHug. deOtieutiniaco, inilitibus, Hichardo de 11 Pelia , n. de Mayreriis, non remittit nec lemit- II tere inlendit eisdemvel alicui ipsoiuniinjuriam 11 dotniiio episcopo et ecclesie Mimatensi in per- II sona sua fartani, nec comniissionem quorum- II cunique l)onorum suoruin lactain et contrac- 11 tani per ipsos vel aliquos eoiuindeui occasione Il et ratione conspirationis facto per ipsos, ut « dicitur, ipso anno contra personam ipsius do- « mini episcopi et ejus bona vel quacuuique alia « causa. De quibus ipse dominus episcopus petiit • sibi fieri publicum instrumentum. Actum Mi- 11 mate, in capitule. » Suivent les noms des per- sonnes présentes (Arch. de la Lozère, G i55, fol. I ai V*).
'*' Dans le livre des obits de l'église de Mende, composé en iSaS, Guillaume Durant
le Jeune est appelé une fois Daranli et huit ou neul fois Durant nu Daran (Bibl. de la ville de Mende, ms. n° 3, fol. 17, 3a v", 49, 96, 137 V" et 169 v°). Nous dirons, nous aussi, Durant et non Durant} ; la forme Duranli d'ail- leurs était usitée couramment, même dans les textes en langue romane. On lit dans le livre des obits : « R. P. en D. messire Guillem Du- « ranti second, evesque de la présent gleysa. » Ce 11 Guillem "Duranti second» est incontes- tablement celui dont nous écrivons la vie; il est qualifié ailleurs Guillaume IV, comme nous le verrons ci-après ( p. 6), mais non Guil- laume Durant IV; il est bien le second Guil- laume Durant.
Nous citerons souvent, au cours de cette no- tice, les Archives départementales de la Lozère. Les documents utilisés plus loin n'ont pas tous été transcrits par nous. M. Philippe, ancien archiviste de la Lozère, qui nous a si heureu- sement secondés au moment où nous faisions ces recherches, a eu l'extrême obligeance de transcrire lui-même, à notre intention, tout un lot de pièces d archives. Nous devons beaucoup aussi à la complaisance éprouvée de son suc- cesseur M. linmel, à qui nous avons eu re- cours un peu plus tard.
EVEQUK DE MENDE. — SA VIE. 3
(le Guillaume, s'offrira à notre examen et qui resterait en partie énigmaticjue, si l'on perdait fie vue le souvenir des querelles de i3o3-i3o4'".
Sans plus tarder, nous a])ordons la biographie de cet homme vin- dicatif.
Il était le neveu du fameux Guillaume Durant, le Specnlator, lui aussi évêque de Mende '-'. Bien des auteurs, notamment Bossuet ''", l'ont confondu avec son oncle. Confusion qui remonte très haut : nous en constatons couramment l'existence dès le xv* siècle I'*'.
La famille des Durant est originaire de Puimisson'^', au diocèse de Béziers. Du père et de la mère de noire Guillaume, nous ne savons rien; mais nous lui connaissons de nombreux parents. C'est ainsi que nous pouvons citer quatre frères de Guillaume Durant le Jeune, à savoir: Pierre'*'', sans doute l'aîné de la famille, en tout cas le seul qui ne soit pas entré dans les ordres, et qui demeura à Puimisson; Bernard on Bertrand*^', chanoine d'Agde et de Mende; Pons***', cha- noine de Mende et de Mirepoix; Guillaume, chanoine régulier, qui, ayant appartenu de i3o6 à i 3 18 au monastère de Cassan, du dio-
'"' Nous faisons allusion à une lellii' de Charles le Bel, analysée ci-ajirès, p. ij : le roi y exprime le désir d'apaiser rancœurs el dis- cords; il fait é\idemnient allusion aux luttes tenaces de Gnillaunie el de la famille des de Peyre.
''I Hift. lin. (le la France, t. XX, |). 'n i-
497-
''' Bossuet, Défense de la Déclaration de l'Assemblée générale du, clergé de France de 1682, Dissertation préliminaire, S l (Ams- terdam, 1745), t. I, p. 63.
'** Voyez la manière dont est désigné l'au- teur du De modo celebrandi coHci/ii dans le ms. 168 de l'hôpital Saint-Nicolas de Cues, dans le ms. 1687 de la Mazarine, dans les mss. 786 de Troyes et Sao de Tours. Il est qualifié Spe- cnlator. ce que les copistes ahrègenl ordinai- rement par les lettres Spc.
'*' Et non de Puimoisson, Basses- Alpes, comme l'ont prétendu d'anciens historiens provençaux. Cf. J. Maurel, Histoire de la com- mune de Puimoisson etde la commandcrie des che- valiers de Malte [9&T\i, 1897), p. ga. L'épilaphe du Speculator ne laisse aucun doute sur ce point [Hist. litt. de la France, t. XX, p. /i3i).
''' Il est nommé en i3i3 dans l'acte de fondation, à la cathédrale de Mende, d'une chapellenie qui devint ensuite le collège des prêtres de la Toussaint; cette fondation fut faite en exécution des dernières volontés du Speculator. En i3i8, avec ses frères, Pierre Durant exerce le droit de présentation qui leur appartient pour une place au collège de Toussainis. Cl. Arch. de la Lozère, G 1880, 338i et a385 [Inventaire, t. II, p. 91, 2o3 et aO(4).
''' MoUat, Jean XXII, Lettres communes, n" 65^5, 6526 et 6601. Dans ces actes le frère de l'évêque est appelé Bernard; c'est sûrement le même personnage qui est appelé Bertrand dans ['Inventaire des Ar- chives de la Lozère, p. 2o4, cité à la note précédente.
w Mollat, n" 6652, 66i3 et 661 5. Suivant F. André, Bertrand et Pons seraient, non frères, mais neveux de Guillaume; voir F. André, Les évéques de Mende pendant le xiv' siècle, dans Bulletin de la Société d'agriculture de la Lozère (1871), t. XXII, 2* partie, page 3a. C'est là, croyons-nous, une erreur, peut-être une simple distraction.
4 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
cèse (le Béziers, devint en i3i8 membre du chapitre calliédral de Pamiers, soumis à la règle de saint Augustin'"'.
Les dignitaires ecclésiastiques ne sont pas moins nombreux parmi les neveux et les cousins de l'évèque de Mende. Un neveu, qui portail le même nom que lui, Guillaume, était dès i3o6 pourvu d(^ la cure d'Esclanèdes, au diocèse de Mende, et d'un canonical à l'église cathé- drale de cette ville'^'. Ce personnage s'était consacré aux études juri- diques; pour s'y livrer à loisir, il obtint du pape Clément V, en i3i 1, l'autorisation de garder pendant cinq ans sa cure, sans être tenu de se faire promouvoir à la prêtrise *'''. A cette époque, l'ancien étudiant était devenu un maître; c'est lui vraisemblablement qui accompagna son oncle au concile de Vienne*'"'. Nous savons qu'il ensei- gna le droit romain et le droit canonique à Toulouse, et aussi à Lerida, où il résidait en i 3 1 5 ; au cours de cette année, son oncle l'évèque le recommanda instamment au roi Jacques II d'Aragon**'. C'est sans doute le même Guillaume que nous retrouvons, en i 3 1 8 et en i 3 20, à Bénévent, où il exerce les fonctions de trésorier pontifical, «;ii même temps qu'il possède la cure de Briols, au diocèse de Vabres'". En i3i6, Jean XXII conféra à un autre neveu de l'évèque, Raymond Blanc, l'expectative d'un bénéfice à la collation des chanoines réguliers de Maguelone'^'. En outre des témoignages certains attes- tent que cinq au moins des cousins de Guillaume Durant appar- tenaient aussi au clergé : Etienne Bedotii , chanoine et vicaire général de Mende en décembre i32 2 '^'; Guillaume Carrerie de
'"' Reg. Clein. V, ann. I. p. 247, n° 1847; Die Einnalimen dcr apostotischen knintiier untei
MoHat, II" f)r)29 et G53i . Johann XXII (Padorborn, igog), p. 293.
'*' Reg. Clcm. V, ann. I, p. 232, n° ia46. Il résulte de ces textes que Guillaume n'était
''' Ibid., ann. VI, p. 208, n° 7018, texte plus à cette époque curé d'Esclanèdes. Un do-
clté par Gatien-Arnoult (Ménioiics de l'Ara- cument conservé aux Archives di^ la Lozère
détitie des fcienrcs... de Toulouse, S' série, t. I, (G 1870) est ainsi résumé par V Inventaire
p. 12, note 16), mais attribue par lui à Guil- (t. II, p. qo) : «Union de la cure d'Escla-
laume, évêque de Mende. Il résulte de la lettre nèdes à la uiense eniscopale; cette cure est
de Clément V que Guillaume;, le neveu, était vacante par la mort de (luillaume Durant.
diacre en i3i 1. neveu de l'évèque dernier titulaire.» La cure
'*' Jbid. , ann. Vil, p. 278, n° 8719. d'Rsclanèdes fut sans doute vacante et unie à
''' Voirie document publié dans le Moyen- la mensc épiscopale; mais nous doutons que
A(je, 2' série, t. XIX (igiti), p. 354-355, par la vacance ait eu pour cause la mort de (îuil
M. F. Valls Taberner, archiviste aux Archives laume Durant.
de la Couroime d'Aragon. ''' Mollat,n° i;')G8.
'•' Davidsohn, Forsrhungen zur Gesrhichte '*' /6itf. , n° Gf) !4; Bibl. nat. , ms. l'r. 2o88r' .
von l'iorenz, t. III, p. i4o, n" 707; GôHer, n° 90.
FAEQDE DE MENDE. — SA VIE. 5
Bassaii, curé de Notre-Dame de la Val, au diocèse de Mende, qui, n'ayant pu entrer en possession de l'archidiaconé d'Armagh, en Ir- lande, à lui attribué, eu i3o8,par Clément V ''', dut s'estimer heureux d'obtenir, en i3iG,deson successeur l'expectative d'une prébende au chapitre de Mende*^'; Raymond André de Bassan, moine bénédictin à Saint-Victor de Marseille, et Guillaume d' Aiguesvives, moine béné- dictin du monastère de Saint-Tibéri, au diocèse d'Agde, qui, l'un en i3iG, l'autre en i3i8, furent gratifiés par Jean XXII de l'expec- tative d'un bénéfice régulier'"''; enfin Pierre Rainaud, curé de Cha- denel, au diocèse de Mende, qui, en i3i8, reçut du même pontife l'expectative d'une prébende au chapitre de Castelnaudari''''. Toutes ces grâces, les lettres de Jean XXII nous fattestent'^', avaient été ac- cordées en considération de l'évêque de Mende, excellent parent, dont la haute fortune fut ainsi forigine des nombreuses faveurs qui se réj)andirent sur les membres de sa famille.
Des premières années de Guillaume nous n'avons à peu près rien appris. Un érudit, Gatien-Arnoult, le croit docteur en droit et profes- seur à riJniversité de Toulouse; mais il le confond évidemment avec le neveu dont nous avons parlé '*"'.
Guillaume était, en 1296, archidiacre de féglise de Mende. Le Speculator mourut à Rome cette année-là , vacance en cour de Rome qui ouvrait la voie à une provision directe par le pape. Le neveu de l'évêque décédé, notre Guillaume, non encore promu aux ordres sacrés et n'ayant peut-être pas 1 âge requis pour la dignité épiscopale <'^ fut nommé par Boniface VIII, qui le releva en même temps de toute irrégularité (17 décembre 1296)'*'. La nomination du nouvel évêque
'"' Reg. Clem. K, ann. III.p. 191, n° 30/17. '*' GaWa christ. J.\ Joe. cil. CeslCAimrnlW ''' Mollat, n° 1571. . qui transforma en régie canonique l'usafje ''' Ihitl., n" 1667 et 653 1. assez fréquent des collations directes par le '' Ibid. , n° ()6o3. pape en cas de vacance in caria (Sexte, III, ''' Pour s'en convaincre, il sulTit de se re- iv. De praeb., a). La constitution qu'il pro- porter aux sommaires des lettres précitées, mulf;^a à ce sujet souleva de vives protesta- qui accordent des bénéfices aux parents de lions (P. Viollet, Hist. des instit. polit, et Guillaume et les dispensent souvent de l'obser- administr. de la France, t. II, p. 33i ). Au con- vation de la loi canonique prohibant la plu- cile de Lyon, on obtint de Grégoire X une ralité des bénéGres. atténuation à la décrétale de Clément IV '*' Voir ci-dessus, p. 4, note 3. (Sexte, ibid.. c. 3), atténuation que le Specii- ''' Le pape, du moins, l'a entendu dire: ut lalor, dans un commentaire sur le concile de asseritur (Gallia christ. , t. I, lnsti'uin.,col. 26). Lyon, déclare plus apparente, plus verbale que Nous ne sommes pas mieux renseignés à cet réelle (Gôlier, Zar Geschichte des zmeiten que Boniface VIII. Lyoner Konzilt and des Liber Sexlus , dans Rôm.
6 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
fut notifiée, par cinq bulles distinctes, au chapitre, au clergé et au peuple du diocèse, aux vassaux de l'évêque, au roi de France''*. Ce Guillaume fut souvent considéré comme le quatrième évêque de ce nom. Il était alors qualifié Guillaume IV, bien qu'il fût en réalité le sixième Guillaume'^'.
Nous rencontrons en 1297 une formalité très intéressante : la jiro- messe réciproque de l'évêque et des chanoines, promesse, faite sur les saints Evangiles, de respecter les libertés, coutumes et statuts de féglise de Mende'"''. Pareilles précautions sont révélatrices; elles suf- fisent à nous faire entendre que l'évêque et le chapitre ne vivaient pas toujours en parfaite intelligence. Trois ans plus tard, en i3oo, les deux parties convinrent d'une transaction tendant à faire disparaître tout sujet de discorde ''''.
En la même année 1 297, notre jeune prélat, dont l'esprit vindicatif se révélait ainsi dès le premier jour, décida, entre autres choses, avec l'assentiment du chapitre, qu'aucun parent (jusqu'au troisième degré) de quiconque aurait lésé l'église de Mende ne pourrait désormais être ])romu chanoine''''. Douze ou treize ans plus tard, dans le De modo celchrandi concilii, Guillaume reviendra sur cette conception, qui lui est chère, et proposera d'en faire une loi de l'Eglise universelle''''.
Quartnhclii ijt, l. W, \Qo6, Geschichle, p. 84- surtout une lettre du 18 octobre 1 338, que
85). « nous croyons rédigée par Guillaume lui-même
''I Digard, Faucon, Thomas, Registres de [ihid. , G àSi). Boniface VIII , n° 1^02. ''' « Et incoiitinenti idem dominus episcopus
'*' Les auteurs de la Gallia chrislinna aanrent • eorum singulos ad osculum pacis admisit et avoir vu un acte où il est qualifié Guillaume VI trecepito (Arch. de la Loz.ère, G 633). {Gallia christ., t. 1, col. 96). Les cinq Guil- '*' Ch. Porée, Le consulat et l'administration laumc antérieurs sont: Guillaume de Peyre au manicipale de Mende (Paris, 1903), p. r>7-64. X' siècle, un autre Guillaume au xi' siècle, en- A noter aussi une curieuse lettre de l'évêque à core deux Guillaume de Peyre au xil* et ou xiii' l'occasion de la nomination d'un nouveau pré- siècle, enfin Guillaume Durant, dit le Specu- chantre et la réplique du chapitre (.\rch. de lator , au xiiT siècle. Mais, au temps qui nous la Lozère, G 639).
occupe, on oubliait souvent les deux plus an- '*' Gallia christ., t. I, col. 96-96. Ce statut
ciens Guillaume: on commençait la série des fut confirmé par Boniface VIII le 35 décembre
Guillaume avec Guillaume de Peyre ou de Châ- 1Z02 {Registres de Boniface VIII, n° 4985).
teauneuf, mort en 1 i5o, et on qualifiait volon- La confirmation est accompagnée de ce
tiers Guillaume 11 Guillaume de Peyre , mort correctif : à moins que le tort n'ait été
en 13 33 [Mémoire relatif an pare'aqe de 1301, réparé. Nous ajouterons que ce statut, dont
éd. Maisonobe. Mende, 1896, p. 7). Quant nous n'avons pas le texte primitif, pouvait
à la qualification de Guillaume IV appliquée à fort bien contenir originairement la même
notre Guillaume, voir notamment une trans- clause.
action de i333, un vidimas de ladite pièce '"' Cf. De modo celebrandi concilii, III,
daté de 1337 (Arch. de la Lozère, G 124) et 35.
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 7
Une des premières préoccupations du nouvel évêque fut d'obtenir du saint-siège le droit de tester; cette faveur lui fut accordée le 3o avril 1297 '"'. Le 29 juillet suivant, une autre bulle pontificale le dispensait de la visite ad limina, qui devait être renouvelée tous les deux ans '^'.
Ce n'est pas sur Rome, c'est sur Paris que le prélat se devait pronip- teinent diriger. En novembre, il se dispose à partir pour cette ville, afin de prêter serment de fidélité au roi. L'année suivante, ses nombreux vassaux lui prêteront à lui-même serment de foi et hom-
mage '■".
Un seigneur féodal qui prend possession de son domaine doit surveiller de près ses intérêts. Ainsi l'hommage pur et sinij^le ne serait pas toujours considéré comme une formalité snlllsante. Pour certains châteaux dits "jurables et rendables», il est sage de se conformer à un usage qui souligne les droits du suzerain.
C'est ce qui eut lieu en 1 299 au regard du château de Cénaret, le- quel , pour un quart, relevait de l'évêque. Tout d'abord , ce fief « ren- dable » devant ce jour-là être «rendu», tous les hommes du vassal, pour quelques instants, vidèrent les lieux; après quoi, le drapeau de saint Privât fut arboré sur le château. Un des hommes de l'évêque quatre fois sonna de la trompette. Le même jeta à pleins poumons, à trois t^t quatre reprises, le cri qui, avec le drapeau déployé, proclame et résume cette prise de possession : Saint Privât , peu Mossenlior levés- que de Mende! Saint Privât! Dieus 0 vol^'^K — Le majus dominiuin de l'évêque sur le quart de la baronnie de Cénaret était dès lors assuré , et le caractère tout spécial de ce fief rendable rituellement reconnu et alïirmé. Tous les hommes du vassal purent aussitôt rentrer dans le château.
L'entrée en jouissance du domaine éminenl de févêque sur la baronnie de Florac fut plus laborieuse et moins complète. Guillaume rencontra là un obstacle sérieux, qu'il ne leva peut-être qu'imparfai- tement.
'"' Registres de Boniface VIII , n° 1921; présence à Mende de l'évêque Guillaume n est
Arch.de la Lozère, G 44. pas mentionnée. Elle est attestée dans une pres-
''' Registres de Boniface V/7/, n°2i3i. tation d'hommage datée du 3 septembre (l'fcirf.,
''' Arch. de la Lozère, G 87, 89, 91. Lors G laS, pièce n" 19). de ces hommages, qui sont de juin et juillet, la '*' Arch. de la Lozère, G 87.
8 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
En 1299, tous les châteaux de cette baronnie, appartenant à un groupe de parents, parmi lesfjuels les deux fils et héritiers (dont un mineur) de feu Isabelle, dame de Montlaur et de Florac, étaient sous la sauvegarde et protection du roi, représenté par le viguier d'Anduze. Celui-ci y avait établi des gardes. L'évêque se déclarait prêt à se substituer au roi et à assurer l'ordre et la paix dans ces domaines; ce qui serait, assurait-il, conforme aux précédents. Mais se débarrasser du roi sans en demander la permission au roi, qui l'oserait.^ L'évêque s'adressa à Philippe le Bel. Celui-ci prescrivit une enquête dont le résultat paraît avoir été très favorable à l'évêque. Ce qui lui fut sans doute un secours plus puissant, c'est l'inter- vention de Guillaume de Nogaret. Nogaret, en effet, rédigea lui-même les résolutions prises sur les requêtes du prélat'". Avons-nous ici la preuve des bonnes relations personnelles qui auraient uni l'évêque de Mende, énergique défenseur des droits de l'Eglise, mais critique inlassable de la cour de Rome, et Guillaume de Nogaret, avocat de l'Etat contre l'Eglise, grossier contempteur de Boni- face VIll? Serait-il dès lors permis, en d'autres circonstances, de soupçonner dans l'ombre la présence de cet ami, qui ne se laisse point apercevoir.^
Ij'alïaire de la baronnie de Florac ne fut pourtant pas clairement résolue. Ee viguier d'Anduze se confondit en bonnes paroles, mais montra beaucoup d'obstination. Ea famille, de son côté, était fort peu empressée à déférer aux sommations de l'évêque, et, sans une re- connaissance des droits épiscopaux, arrachée enfin, la sépulture reli- gieuse eût été refusée à Isabelle, dame de Montlaur et de Florac. Ea paix obtenue (octobre 1299) fut, semble-t-il, une paix contrainte et mal assurée, une manière de paix armée '^'.
Ee voyage à Paris, que l'évêque annonçait à la fin de l'année 1 297, .sera souvent répété, sans préjudice d'autres absences extrêmement
'■' «Item, quedam arresta facla in Francis « teni, legiim professorem, consiliariunidomini
..super petilionibus in parlamento hiemali .. régis ; quarum quidem requeslarum et arres-
I. proxinip pioterito per dictuiii dominuni ppi- » lorum ténor tnlis est. • La suite du texte ne
» scopuin ledditis, quorum quidem arrestorum permet pas de dégager les arresla qui seraient
..et litlerarum dixit copiam habere niagister l'œuvre de Guillaume de Nogaret (Arch. de
..Hugo, proniralnr regius in senescallia Boili- la F.ozère, G i.S5,fol. ioI)elsuiv.) «cadri, qui prcdicti» arreslationibus [sic) '" Ibid., fol. lod et suiv. La (]ucslion di-
• inlerfuit. Et dicta arresta scripla fuenmt per Florac est longuement traitée dans le Mémoire
« nobilem vinundominumG. de iNogarelo, mili- relatif an paréage de iSOl , p. 338-397.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 9
fréquentes, car la loi de la résidence ne paraît pas avoir préoccupé Guillaume Durant. Il eut même à Paris et aux portes de Paris deux habitations : à Paris l'hôtel de la Calandre'"', et un manoir à Argenteuil'^*.
En 1 297, l'évéque part pour Paris, non seulement en vue de prêter serment au roi et de plaider la cause des sujets de l'église de Mende, auxquels on veut imposer de lourdes contributions, mais encore pour suivre activement un ancien et très important litige qui, depuis près de trente ans, divise le roi et l'évéque de Mende'^', litige sur lequel nous reviendrons plus loin. De ce fait, des dépenses considérables sont à prévoir. Mais la mense épiscopale est insuffisante et le prélat a besoin de ressources extraordinaires. Les chanoines, les curés et les chapelains sont informés de la situation et saisis, comme nous dirions, d'une demande de crédit. D'accord avec son clergé, Guil- laume décide (novembre 1297) que tous les curés en mesure de faire ce sacrifice remettront chaque année à l'évéque la somme de 60 sous tournois tant que la grande affaire en question le retien- dra hors du diocèse. Les recteurs hors d'état de fournir pareille subvention donneront ce qu'ils pourront, eu égard à leurs revenus. Enfin, durant six ans, l'évéque jouira desannates de tous les bénéfices qui viendront à vaquer dans le diocèse '**'.
Les affaires courantes sont d'ordinaire les plus urgentes. Ce sont celles auxquelles le prélat donne, en effet, pour commencer, tous ses soins; nous voulons parler des subsides réclamés par le roi. Dès le 12 février 1 298, Philippe le Bel, saisi par Guillaume Durant, résout une question délicate relative à la perception des subsides, question qui intéresse en même temps les rapports de l'évéque avec le roi et avec certains grands vassaux : sur les terres où l'évéque possède haute et basse justice, lui seul, et non certains seigneurs qui, tout récem- ment, ont usurpé ce rôle, lui seul, déclare le roi, doit percevoir
*'' Voir Dotainiiient Arch. de la Lozère, Paris qu'il qualifie « tiers quartier» (Lebeiif,
G 72 (acte du 25 décembre i3i5);G7i (acte Histoire de la ville et de tout le diocèse de
du3mai i323);G48i (lettredei328);G72 Paris, Paris, i883, t. I, p. 178,275, 317
(acte du 3ojuin 1329). La rue de la Calandre et 376).
appartenait presque tout entière au territoire *'' Lettres de i3i5, de i32i et de i32a
de Saint-Germain-le-Vieux ; elle donnait sur la (Arrh. de la Lozère, G 3o, 33, la/i et 639). rue delà Barillcrie etsur la rue de laSavaterie, '^' Ci'. Mémoire relatif aa paréage de 1307,
plus tard appelée rue Saint-Eloi. Un manu- p. 3-2 1; Porée, p. xvi. scrit du xv' siècle la classe dans le quartier de '*' Arch. de la Lozère, G 33.
IIIST. I.ITTKR. XXXV. 2
10 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
les subsides accordés au roi; le sénéchal de Carcassonne fera exé- cuter cet ordre''*. Le 28 avril suivant, l'affaire des subsides se représente sous une autre forme; c'est cette fois une lettre de non- préjudice : le roi affirme n'avoir jamais eu l'intention, en exigeant de l'évêque certains subsides, de porter atteinte aux privilèges et libertés de l'évêque et de l'église de Mende'^'. Le 1" août 1 298, Philippe le Bel aborde la question des annates, pierre d'achoppement entre l'évêque et le roi; pierre d'achoppement, car le prince, lui aussi, a songé à ce moyen de se procurer de l'argent, et il a obtenu du pape la faveur de jouir, pendant la durée de la guerre, des annates des bénéfices vacants en France. Les intérêts des deux parties sont donc en condit. Le roi consent à tenir compte des décisions régulières [ordinatlo légi- time facta) qui ont pu être prises en faveur de l'évêque avant la concession octroyée par le pape.
Nous soupçonnons qu'on a mal renseigné le roi sur la date de la convention faite avec le clergé gévaudanais; on a dû lui dire qu'elle était très antérieure à la concession octroyée par le pape [dm ante gratiam de annatil>us)^^\ Mais le roi a quelque sou])qon. Il parle avec intention (ïordinatio légitime Jacta, réservant par là cette question : une décision qui aurait été prise par l'évêque et son clergé en novembre 1297, en opposition avec la concession du souverain ])on- tife au roi, laquelle est du 8 août 1297'''', ne sérail pas régulière; ^elle ne saurait être considérée comme légitime Jacta.
Pour le moment, le roi partage inégalement le gâteau : il aban- donne à l'évêque le quart des revenus pendant deux ans. Quant à la suite de cette affaire, nous savons seulement qu'en l'an i3oo Philippe le Bel percevait les annates en Gévaudan '^'; plus tard l'évêque semble les percevoir sans contestation , ainsi qu'il résulte de ses lettres de iSog et i3i5.
Guillaume ne perd pas de vue toute une catégorie d'affaires qui concernent soit les droits de l'église de Mende au regard du roi, soit les prétentions opposées de l'aristocratie gévaudanaise et de l'évêque.
''' Roiicaute et Sache, Lettres de Philippe le sont en dehors de la concession faite au roi.
Bel relatives au pays de Gévaudan. p. lo.n'vi. Voir Jusseiin, Etude sur les impôts royaux en
''' Ibid., p. la, n° vu. France sous le règne de Philippe le Bel et de ses
''' Ihid., p. li, n° IX. fils ; mémoire manuscrit, couronné par l'Aca-
''' Registres de Boniface VIII. n" 2367. Les demie des Inscriptions en 1914.
archevêchés, évêchés, monastères et abbayes '*' Roucaute et Sache, p. 20-31, u" xi.
ÉVKQUE DE MENDE. — SA VIE. 11
Le tout sera, dans quelques années, réglé directement ou indirec- tement par un arrangement solennel dit pariage, ou association entre le roi de France et levêque de Mende. Pour l'instant, certaines dif- ficultés sont résolues. Le 28 avril 1298, Philippe le Bel ordonne au sénéchal de Beaucaire de veiller à ce que levêque soit remis en possession de certains biens et droits usurpés par plusieurs barons du Gévaudan'''. Le 1" décembre suivant, le roi invite le même sénéchal à faire une enquête sur les droits de levêque, qui paraissent avoir été violés par cet officier, parce que, sans le consentement de l'évêque, il a exigé du seigneur de Randon un droit d'amortisse- ment pour des manses qui seraient mouvants de l'évêque*"-'. Le 24 février i3oo, le roi prescrit à ses olhciers de ne porter aucune atteinte à la juridiction spirituelle ou temporelle de l'évêque de Mende, de n'exiger aucune subvention des clercs — mariés ou non mariés — vivant cléricalement''^'. Cet édit royal, considéré comme très important, fut renouvelé, en i3o2, par Philippe le Bel''*' et con- firmé, en 1 3 1 5 , par Louis X'^'.
Le prélat, disions-nous plus haut, se disposait en novembre 1297 à quitter Mende. Deux ans plus tard, le 27 janvier i3oo,date d'une importante transaction avec le chapitre'''*, il était, croyons- nous, de nouveau absent de sa ville épiscopale. Aussi bien nous savons, par ailleurs, que ses fréquents séjours en « France» lui coû- tèrent extrêmement cher'''. Il était de retour à Mende en février 1 3o 1 ; le 4 février, il léunissait tous ses chanoines et les entretenait du grand litige que lui avaient légué ses prédécesseurs.
Ce débat, qui oppose l'une à l'autre deux conceptions toutes diffé- rentes de la condition juridique du Gévaudan, qui embarrassa au plus haut point le Parlement de Paris et sur lequel s'entassèrent pen- dant des années délais sur délais, enquêtes sur enquêtes**', se peut résumer en quelques lignes.
L'évêque prétend avoir sur le Gévaudan une autorité souveraine
''' Roucaute et Sache, p. i3, n" viii. •'> Porée, ouvrage cité, p. 57-64. Voir aussi
'*' Ibid., p. i5-i6, n° X. plus haut, p. 6. L'absence de l'évêque en pa-
''' Ibid.. p. 17-21, n° XI. Cf. une lettre de reille circonstance implique, à nos yeux, qu'il
Philippe le Bel, d'octobre i3oi [ibid., p. 21- est retenu au loin.
22,n''xii). '') • Per ipsum episcopum veniendoetstando
''' Arch. de la Lozère, G 20, d'après I'/h- «in Francia non abs(|ue magnis sumptibusi
ventaire, t. I, p. 5. (Mémoire relatif au paréaqe de 1301, p. 20). ''! Ibid. ") Ibid.,^. l5-2 1.
12 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
qu'il qualifie de major dominatio, ma/us dominium , plénum jus cum recja- libus. U reconnaît toutefois que certaines parties du Gévaudan relèvent du roi à des titres divers^'*. Mais, ces terres exceptées, il ne doit, assure-t-il, au roi de France, ni redevance ni obéissance. Ici intervient une distinction plutôt obscure que subtile : févéque ne doit au roi ni redevance ni obéissance {jedihentia et ohedientm) , mais il lui doit lidé- lité et soumission. A ce devoir de fidélité et soumission les évêques de Mende s'obligent par serment depuis le pontificat d'Aldebert III du Tournel, au temps de Louis VII'-'.
Le sénéchal de Beaucaire ou ses olliciers troublent f église de Mende en la possession ou quasi-possession de cette situation traditionnelle. L'évèque entend faire cesser ces attentats répétés à ses droits.
Le roi soutient, au contraire, que, suivant le droit commun et la coutume antique, l'évêcbé de Mende, de temps immémorial, relève tout entier de la couronne pleno jure quoad majorent junsdicttoncm. Il est lui-même lésé par févèque'^'.
L'évèque exposa au chapitre que le résultat final de ce grand procès politicpie lui paraissait douteux, et il demanda conseil.
L'église de Mende, févêque actuel et ses prédécesseurs, répondirent les chanoines, se sont épuisés à suivre cette affaire. Ni peines ni frais n'ont été épargnés. Pendant cette longue période de lutte, les droits de févêque, ceux de f église, ceux du chapitre ont été de mille manières foulés aux pieds et usurpés par les barons, les com tors*'*', les châtelains, les aobles et les puissants. L'évèque qui, par lui-même,
'"' Voir Jean Roucaute, La formalion terri- protectear des troubadours, dans Bomania ,
toriale du domaine royal en Gcvaadan, 1161- 1910, p. agy-ooi-
1307 , avec la carie des ferres propres an roi au ''' Voir le texte du pariage dans G. de
temps de Philippe le iie/ (Paris, 1901). C'esl Burdin, Documents historiques sur la prorince
l'édition IVancaise d'une thèse latine publiée de Gévaudan (Toulouse, 18^6), t. 1, p. SSg-
sous ce titre : Qua ratione et qaibus temporibns o-j6 , et dans Roucaute et Sache, Lettres de
fines doniinii renii in Galialitano constituli sint Philippe le Bel relatives au pays de Gévaudan,
(Mimat.T, 1900). Cf. aussi Robert Michel, p. 17^ et suiv.; le Mémoire, p. 4, 96, a64>
L'administration royale dans In sénéchaussée de A02 et passim. Quant aux territoires sur les-
lieaucaire (Paris, igiO), p. 1 16 et i46. quels l'évèque, depuis un arrangement avec le
"' Méihoirc , p. 4-6. L'expression se suhdens, roi, n'a pas les mêmes droits, voir Mémoire,
qui se trouve dans l'acte émané de Louis VII, p. a3. Cf. Arch. nat. , J 34». ri° 6; Arch. de
est corri^'ee par cette explication : «Quod sane la Lozère, G 780 à G 74a [Inventaire , t. I,
• factum ad nulluni delrimenlum, ad nullaiu p. i58-i64}.
u prorsus privatlonem hactenus habite potes- '*' Sur les comtors, voir Paul Viollet, His-
• iatis in posterum converti volenles. • — Sur toire des institutions politiques et administratives cet Aldebert duïournel, voirCrunel, Randon, de la France, t. 11, p. 419-
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 13
ne peut les contenir, n'ose s'adresser à la cour du roi de peur de porter préjudice aux droits régaliens [jura reyaluim) et à la souverai- neté du Gévaudan, objet même du litige. Il convient donc que, con- fiant en Marie et en saint Privât, patron du diocèse, l'évêque s'emploie à obtenir enfin, malgré l'incertitude du résultat, un arrêt de justice. Cet arrêt ne pourra faire perdre à l'église de Mcnde plus qu'elle n'a perdu dès ce jour, car les olficiers du roi se sont emparés par violence du pouvoir et de la souveraineté en Gévaudan. Ils jouissent en fait des droits et de la domination que l'évêque et le chapitre leur contestent. C'est pour(pioi les chanoines prient instamment el humblement le seigneur évêque de poursuivre, quoi qu'il puisse advenir, l'obten- tion d'une sentence de justice; il pourra se pourvoir contre cette sentence, s'il le juge à propos, par voie de supplication ou d'appel. Tous pouvoirs lui sont donnés en vue d'une solution définitive*'^
On s'attend, après avoir pris connaissance de la délibération du cha])itre, à une lutte judiciaiie très énergique; et, cependant, si on interroge les archives, au lendemain de cette déclaration de guerre (où, à la vérité, on pourrait peut-être apercevoir une allusion voilée à la possibilité d'une transaction)'-', on rencontre une série de déci- sions royales qui accusent un échange de bons rapports entre les deux parties et qui sont, à bien prendre, comme l'acheminement à une entente définitive. Cette entente sera le pariage de iSoy.
Ce qui répond fort bien au ton de la délibération de i3oi, c'est l'écrit qui a été publié par M. Maisonobe sous le titre de Mémoire relatif au pariage^^\ mémoire où est longuement et solidement déve- loppée la thèse de l'évêque. Ce mémoire, très étudié, fut rédigé par un procureur dont le nom malheureusement ne nous est pas parvenu. Il ne semble pas avoir eu en vue le pariage. Mais ce
'"' Arch/de la Lozère, G 74i- munication de M. E. Perrot.) Le mémoire
''' Après une énumération de tout ce qui est donc postérieur à 1298, date de la publi-
peul s'interpréter comme pouvoir donné à cation du Sexte. Nous ajouterons qu'il a dà être
l'évêque de poursuivre judiciairement le écrit environ quatre ans après le départ pour
triomphe du litige, ces mots et ad omnia alia Paris de Guillaume Durant, départ qui eut
dictain causam seu processnm ejasdem generaliter lieu vers novembre 1297 (voir Mémoire,
vel specialiter contingentia couvriraient-ils la p. 30). Du • Mémoire relatif au pariage • on
possijjilité d'un accord? rapprochera utilement le relevé, divisé en
''' Mende, 1896. Le Sexte est mentionné quatre sections, des assertions de l'évêque dans
dans ce mémoire, p. 121 et 5o5. (Nous de- son différend avec le roi (Arch. nat., J 34ii
vons cette observation importante à une com- Mende, n" 6).
14 GUirXAUME DUR\M LE JEUNE,
factum, qui apporte des arguments sérieux contre la thèse des ofTiciers rovaux, n'aurait-il jias contribué, en fait, à procurer une entente? Le roi n aurait-il pas transigé, afin d'éviter une défaite judiciaire, qui n'était peut-être pas rigoureusement impossible? Ou encore le roi et l'évêque, perplexes l'un et l'autre, n'auraient-ils point senti qu'ils avaient tout avantage à faire la paix et à s'entendre ''* ?
D'ailleurs, tandis que les conseillers du roi pesaient les arguments et les faits versés au débat par le procureur de l'évêque, ce dernier, très remuant, agissait en cour et se ménageait l'appui du souverain en diverses affaires se rattachant de près ou de loin aux questions controversées. Il obtint notamment, le 3 mai i3o2, au sujet de ses droits de justice, ce mandement royal : le sénéchal de Beaucaire ne devra pas inquiéter les gens de l'évêque, qui, en poursuivant à main armée des malfaiteurs soumis à sa juridiction, traverseraient les terres du roi'"'. Six jours plus tard il fut ordonné de surseoir à la levée des contributions de guerre demandées aux églises et aux ecclésiastiques ^^K
Intervint le fameux « différend » avec Boniface VIII. Guillaume assista au synode qui se réunità Rome en octobre-novembre i3o2 '"', date qui coïncide avec celle de la bulle Unam sanctam. À cette bulle Philippe le Bel répondit par l'acte solennel d'accusation contre le j:)ontife, acte auquel les évoques et tout le clergé de France furent conviés à s'associer. Nous n'apprenons pas que l'évêque de Mende ait répondu à l'appel du roi. Quant au chapitre, il envoya une procura- tion extrêmement prudente et, pour tout dire, parfaitement vide de
sens
(5)
''' Le roi et révèque le disent chacun de «esset dubius litis eventus» fut libellée par
leur côté. Voici tout le passage : » Et maxime l'évêque.
«quia dictus senescalliis et alie gentos nostre, M. Rnucaute a publié un document qui
«que ad probandum aliquos arliculos petebant parait bien indiquer que le roi pouvait, en
«se admitti , dlcebant quod non erat adliuc in définitive, perdre son procès [La formation tcr-
« causa conciusum , et esset dubius ipsius litis riloriale du domaine royal en Gévaudan , Paris,
« eventus, et lis dicto episcopo, ecclesic et pa- igoi , p. 83-8^). Cf. Mémoire relatif au j>uréa(je
«trie foret ex multis causis daninosa, et etiani de 1307, p. 499-
«sumpluosa. . . » (Arch. nat. , J 3^1, Mende, ''' Roucaute et Sache, Lettres de Philippe le
n° 4)- Cf. G. de Burdin, Documents historiques sur Bel relatives au pays de Gévaudan , p. 26 , n° xv.
laprovince de Gévaudan (Toulouse, i846), t. I, '^' Ibid., p. Q7, n° xvi.
p. 362. L'évêque adéj.idit, en i3oi,auciia- '*' Dupuy, Histoire du différend d'entre
pitre : «Dubius esset predicte litis eventus n Boniface VIII et Philippe le Bel (Paris, i655),
(Arch. de la Lozère, G 74i). D'où nous con- p. 86.
cluons qu'originairement cette formule tel '*' G. P'icol, Documents relatifs aux Etats gêné-
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 15
Faut-il expliquer par le méconteutemenl du roi une décision du 26 août i3o3, qui soumet cette fois les ecclésiastiques au payement de la décime ou plutôt de la demi-décime'*'? Nous ne le pensons pas. Des considérations d'ordre général expliquent cette mesure. Elle n'en fut ])as moins pénible au prélat, qui avait, par ailleurs , de très sérieuses inquiétudes et sentait le sol trembler, en Gévaudan, sous ses pas. Un sourd mécontentement se propageait parmi les féodaux; une con- spiration le menaçait. En cette lieure d'angoisse, il lit appel au ])ape Benoit XI et lui demanda une bulle de sauvegarde. Cette bulle est restée à l'état de projet'"-'.
\ ers le même temps, nous rencontrons (îuillaume Durant prési- dant un concile de la province de Bourges, avec l'évêque de Limoges et les vicaires généraux du primat d'Aquitaine, lequel se trouvait pour lors en cour de Bome. 11 figure au second rang, après févêque de Limoges. Ce dernier prélat et l'évêque de Mende ainsi que les vicaires généraux de l'archevêque de Bourges, primat d'Aquitaine, transmirent à l'abbé de Cluni, délégué du roi de France, les délibé- rations du concile. C'est par ce message que nous sommes renseignés sur cette assemblée, qui eut lieu en mars i3o4. Elle fut très peu nombreuse; c'est à peine si la sixième partie des personnes appelées à siéger aux conciles provinciaux avait pu se rendre à la convocation. Sans la présence de Guillaume Durant, l'assemblée n'aurait compté qu'un seul évêque. Les ecclésiastiques présents constatèrent avec anxiété cette situation et exprimèrent le vœu qu'un autre concile fût réuni, ou même prirent une décision en ce sens. Faudrait-il entrevoir ici un procédé habile, qui aurait pu un jour, si les circonstances étaient devenues favorables, servir à infirmer les délibérations qui lurent prises .►> Elles sont d'ailleurs très prudentes ces délibérations. Le roi demande un subside ; on lui offre, s'il plait au pape (^si placuerit domino papœ), une décime qui serait levée par le clergé, suivant fan- cienne taxation,' et cela, pourvu que le roi remplisse toutes les pro- roux e( assemblées réunis sous Philippe le Bel {G allia chrisliana, t. Il, Instrumenta, col. 3oo- (Paris, 1901), p. 339-330, n° i48. — En 3oi,n° xlii).
i3o3 (n. st. ), avant Pâques, Guillaume était à ''' Roucaute et Sache , p. 39,n°xvii.
Paris; il faisait partie d'une grande réunion ''' Arch. de la Lozère, G 3i. Cette pièce
de prélats et de barons devant laquelle l'ar- singulière n'est pas datée et ne parait pas avoir chevéque de Bordeaux protesta qu'il ne été scellée. Benoît XI fut élu pape en octobre devait pas foi et hommage au roi de France i3o3 et mourut, à Pérouse, en juillet i3o4-
16 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
messes qu'il a faites, notamment au sujet de la monnaie, et pourvu qu'il n'exige pas, à l'occasion de la guerre actuelle, d'autre subside ou d'autre service. Si cette offre était rejetée comme insuffisante, le clergé pourrait aller, s'il plaisait au pape, jusqu'aux décimes de grossis fruclibus; cette seconde proposition est faite, elle aussi, à certaines conditions, nombreuses et précises'"', dans le détail desquelles nous n'entrerons pas ici.
Ces conditions, qui semblent avoir été sensiblement les mêmes dans toutes les provinces, furent acceptées par Philippe le Bel, pour le moment du moins. Plusieurs ordonnances royales octroyèrent au clergé des faveurs et des grâces'"', qui sont précisément celles que léclamaient et le concile de la province de Bourges et, sans nul doute, d'autres conciles.
On doit supposer que l'attitude de l'évéque de Mende au concile de mars i3o4 satisfit pleinement Philippe le Bel; peut-être même cette attitude avait-elle été ménagée à f avance : l'évéque avait besoin du roi, le roi avait besoin de févêque. Dès le printemps de fannée i3o4, les actes royaux favorables à l'évéque se renouvellent et se multiplient, symptômes d'une entente prochaine et définitive entre les deux pouvoirs : lo mars i3o4, ordre au sénéchal de Beaucaire de se montrer favorable aux requêtes de l'évéque de Mende, qui a pu être lésé par diverses sommations [monitiombns) émanées de l'au- torité royale*''^; lo mai i3o4, enquête au sujet d'un projet d'échange entre le roi et l'évéque — le roi céderait à l'évéque la moitié du péage de Mende, qui lui appartient depuis 1266, et l'évéque renoncerait à une rente annuelle de vingt livres, qui lui est due sur la trésorerie royale de Nîmes; — i5 juin i3o4, ordonnance octroyant diverses faveurs à l'évéque de Mende et aux églises de son diocèse, en récom- pense de leur contribution au subside pour l'armée de Flandre, notamment Texenq^tion du droit de franc fief, l'interdiction des « nouveaux aveux »''*', etc. Ces dernières lettres patentas formaient un ensemble assez inqîortant pour qu'ultérieurement l'évéque et le clergé de Mende jugeassent utile d'en demander et d'en obtenir confirma-
'"' Arcli. nat. , J 1025, n° 4. La petite phrase i3o4 (Roucaule et Sache, n° xx, p. 37 et suiv.;
relative à la monnaie est énergique dans sa Méneslrier, Histoire de Lyon, Lyon, 1(196,
soltriéte : «El hoc, si dominas rex suis sump- p. un, col. a; Ordonnances, t. XV, p. 454). (itibus mulet inonetam , ut piomisit. » ''' Iloucaute et Sache, p. 36, n°xix.
''' Lettres de Philippe le Bel, du i5juin ''' Ibid., p. 34 , n° xviii.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SA VIE. 17
tion de Louis X, confirmation qui fut accordée sous forme de vidi- mus*'*.
Au demeurant, au lieu de lutter en justice, le roi et l'évêque, visiblement, s'entendaient et marchaient de concert. Un accord défi- nitif était proche.
Si cet accord se réalise, les féodaux auront désormais à compter, non plus avec févêque seul, mais avec févéque et le roi. C'est un coup désastreux qui frappera les seigneurs du Gévaudan, ombra- geux et turbulents, avides d'indépendance. Ils savent tous qu'au cours du xiif siècle plusieurs alliances temporaires entre l'évêque et tel connétable du roi au Puy, tel sénéchal à Reaucaire, ont sulh à les materC^'. Les associations avec le roi lui-même, non point tempo- raires, mais permanentes, leur sont bien connues, car les pariages ne sont pas rares en Ciévaudan'"*'.
Tout cela chacun le sent en Gévaudan. Le sentent surtout très vivement les puissants seigneurs de Peyre'"', qui, en fait de pariage, sont fort entendus, et savent ou devinent tous les ressorts du système. Le chef de cette maison , Astorg de Peyre, jouit personnellement (fan pariage conclu avec le roi : il y a à Marvejols une cour commune à lui et au roi'^'. Un prieur d'Ispagnac — prieuré qui ressemble fort à un apanage féodal de la famille de Peyre — avait lui-même conclu avec Philippe le Bel, en 1298, un pariage pour ce prieuré, pensant le soustraire par là à toute immixtion de l'évêque'''^. Le grand pariage que préparait Guillaume allait étouffer ces conven- tions, écraser ces petits pariages et établir sur le (Jévaudan une domination tout ensemble royale et épiscopale, domination active, agissante.
<'l Ordonnances , t.V, p. 6^-i\ t. XI, p. 430; p. ag; Roucaute et Sache, p. 96, n° xlviii.
Roucaute et Sache, p. 37,11° XX. MM. Uoucaute ''' Roucaute et Sache, p. A/i, n° xxii. Cf.
et Sache emploient le mot t)i(/imus( p. 4 1, note), Arch. de la Lozère, H i4o, d'après Vlnven-
qui est parlaitement exact; mais il est clair laire. p. 5i. A la suite du pariage de 1298,
qu'ici un vidimas a la valeur d'une confirma- Guillaume Durant, très préoccupé d'une pa-
lion. CF. Arch. de la Lozère, G 8i-], d'après reille combinaison, avait obtenu de l'abbé de
l'Inventaire, t. I, p. 182. Saint-Géraud et du prieur d'Ispagnac la pro-
''' Mémoire, p. 9-11. messe que ces deux dignitaires travailleraient
''' Cf. Annales du Midi, t. XV (1903), à l'aire révoquer cet acte, promesse qui n'eut
p. .^3. aucune suite ( F. André , Ispagnac el son prieuré,
(*) Comm. de Saint-Sauveur de-Peyre, canl. notice historique, dans Annuaire de la Lo-
et arr. de Marvejols. zêre. 1874, 43° année, partie historique,
C G. de Burdin, Documents historiques, LÏ, p. 10-11)
HIST. LITTER.
3
18 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Un complot fut organisé. La famille de Peyre en fut la tête. On espérait écarter le pariage en assassinant l'évêque'''. Ce complot, qui, d'ailleurs, fut assez facilement réprimé, exaspéra Guillaume, mais probablement aussi l'épouvanta. C'est à l'occasion de cette con- spiration que, le 23 octobre i3o4, Guillaume Durant réunissait, comme nous l'avons vu, son chapitre et vouait ofliciellement une haine implacable à ses ennemis; il nomma, ce jour-là, Astorg de Peyre, Gui de Cénaret'"', Hugues de Quintinhac'^', Richard de Peyre et un cinquième personnage, Raymond de Meyrières''*'. 11 ne semble pas avoir désigné nommément le prieur d'ispagnac, Aldebert de Peyre'^'; ce nom le gênait-il dans la circonstance, Aldebert étant lui-même chanoine de Mende'''*.^ Ou encore sous le nom d'Astorg de Peyre, chef de la maison, englobait-il les cadets, qui sont tous des Aldebert'^*?
Ce que nous savons de l'attitude de Guillaume entre 1 3o4 et i Soy, date de la conclusion du pariage, révèle, ce semble, un grand trouble : la colère et la soif de vengeance, mais aussi la peur, agitent cette àme ardente, soumise à une très dilficile épreuve. Guillaume dénonce au roi le prieur d'ispagnac et ses complices. Le sénéchal de Beaucaire est aussitôt avisé par le prince d'avoir à se saisir des criminels; ceux d'entre eux qui sont clercs, par conséquent le prieur susnommé, devront être livrés à la justice épiscopale '*'. Un autre prieur remplace peu après Aldebert de Peyre''^'; Richard de Peyre, poursuivi comme son parent, est lui-même incarcéré'"^*, mais nous
''1 Roucaute et Sache, p. 43, n° xxii. "■ Sur le nom d'Aslorg réservé aux aînés el
'*' La quatrième partie du château de Ce- celui d'Aldebert aux cadets, voir B. P[ru-
naret relevait de l'évèque de Mende (Arcli. de nières]. L'ancienne haronnie de Peyre, dans
la Lozère, G 87). Bnlletin de la Société d'agriculture , industrie.
'^* Hugues de Quinlinliac était vassal d'As- sciences el arts de la Lozère (186G), t. XVH,
lorg de Pejre (Arch. de la Lozère, G 108, 2° partie, p. 1G7, noie 1. d'après 17Hi'eH(ai/c, t. 1, p. 29). '"' Roucaute et Sache, p. 43, n° xxii. Un
' ' Vassal d'Aldebert de Peyre, prieur d'Is- religieux du monastère de Bonnevaux, au dio-
pagnac, il tenait de lui le quart indivis du cèse de Poitiers, fut mêlé à celte affaire; mis
mas de Fraissinet et plusieurs autres biens à la torture, il confessa avoir conspiré la morl
(Arch. de la Lozère, H i46 , d'après l'Inven- de Guillaume Durant [Invent. somm. des arcli.
taire, p. 5/i ). de la Lozère, série G, t. I, p. 1 ).
>*' .1. dominas de Pelra me parait désigner ''' Arch. de la Lozère, H i/iG , d'après l'/n-
Aslorg de Peyre plutôt que le prieur Aldebert. venlaire, p. 34-
''' Aldebertas de Pelra, precentor, assiste ''"' Il fut mis en liberté sous caution en
à une réunion du chapitre le 24 novembre 1297 i3i3 (Boutarir, Actes du Parlement, t. II,
(Arch. de la Lozère, G 33). n° 4i3i ; cf. n"' 7787-7789).
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 19
ignorons la date de son arrestation; elle est peut-être postérieure de plusieurs années et pourrait se rattacher à une autre accusation''^. Quant à Guillaume Durant, sa situation devient d'autant plus dilTicile que, vers le même temps, d'autres mécontents l'accusent d'avoir perçu irrégulièrement des subsides sur son clergé. Le 17 mars i3o5, il se fait libérer, en assemblée générale, de toute obligation de resti- tution, en même temps qu'on lui octroie un nouveau subside cari- tatif, subside très inférieur à celui qui lui avait été accordé en novembre 1297*^'.
En résumé, d'une part, Guillaume est menacé par ses adversaires, qui lui font, on peut le dire, une guerre au couteau; d'autre part, des ennemis plus cauteleux lancent contre lui une accusation cruelle. Comment ses fidèles le soutiennent-ils? En l'exemptant de toute « restitution », défense qui, dans nno certaine mesure, confirme l'ac- cusation et, par conséquent, constitue une offense nouvelle. En un pareil moment le séjour de l'évéque dans sa ville épiscopale devait être singulièrement pénible et peut-être dangereux. Guillaume se trouvait heureusement en bons termes avec la cour de Rome, qui, dans le même temps, eut à s'occuper des affaires de la malheureuse Italie, décbirée par les partis politiques '■'l Clément V alla-t-il de lui- )nême chercher l'évéque de Mende, ou celui-ci l'aborda-t-il le pre- mier.'^ Nous l'ignorons. Mais nous savons de source sûre que le nouveau pontife nomma l'évéque de Mende et l'abbé de Lombez ses légats en Italie'**. Guillaume put quitter tête haute la capitale du Gévaudan.
La mission confiée aux légats était très importante. Ils furent chargés de pacifier une grande partie de la péninside, livrée aux dis- sensions intestines et aux guerres civiles. Entre autres pièces émanées d'eux, nous possédons les rapports très circonstanciés et très intéres-
<'' Voir ci-après, p. 45. Ne pas oublier que, Speculator dans la Romagne et la Marchetl'An-
le 2?) octobre i3o/i, l'évéque a pris ses prc- cône ne contribua pas à ce choix, fort inat-
cautions à l'avance pour agir à sa guise contre tendu, de l'évéque de Mende. Sur le rôle joué
ses ennemis : vel quacamqae alla causa. en Italie par le Speculator, voir Hist. litl. île la
''1 Arch. de la Loière, G 33. France, t. XX, p. 422-427; Max Heber, Gut-
'■''' Viilani, VllJ, 82 , dans Muratoii, iîcrum achtcn and Reformiorschlâge fur das Vienner
Italicarum scriplores, t. XIII, p. 4ai-42a. Gcneralconcil (Leipzig, 1896), p. 66. La niis-
'*' On s'est demandé si le souvenir du grand sion confiée à Guillaume ressemble si ngu-
rôle politique joué autrefois par son oncle le lièrement à celle qu'avait reçue son oncle.
3.
20 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
sants qu'ils adressèrent au souverain pontife; il en sera question plus loinC).
Sans doute, le procureur ou les procureurs du prélat continuèrent, pendant ce temps, les négociations à la cour de France, et Guillaume, sa mission- accomplie (il était encore en Italie en mars i3o6)'"^'', put lui-même les suivre de près. Elles aboutirent au pariage, qui est daté de février iSoy (n. st.)'"*^.
A peine ce traité conclu, l'infatigable prélat partait pour l'Angle- terre, chargé par le souverain pontiie d'une alfaire bien diflércnte de celle qui lui avait été confiée en Italie : il s'agissait, cette fois, d'en- quêter en vue de la canonisation de Thomas de Canteloup, évêque de Hereford, mort excommunié, assurait-on '^^ Nous nous occu- perons de l'une et de l'autre mission, en traitant des œuvres de Guillaume '*'.
Le pariage de février iSoy est l'acte le plus considérable de fépi- scopat de Guillaume Durant. Par une délibération du chapitre, posté- rieure à celle que nous avons analysée plus haut, le prélat avait été autorisé à transiger avec le roi, mais deux chanoines lui avaient été adjoints à cet eifet, et c'est d'accord avec ces deux délégués qu'il pouvait conclure.
L'acte de pariage fut promulgué sous deux formes différentes : dans l'une, c'est le roi qui parle''''; dans l'autre, c'est févêque'^'. Toutes les clauses du contrat sont dans les deux instruments identiques quant au fond, matatis mutandis. Mais l'évèque a soin de mentionner qu'il est assisté des deux chanoines, que lui avait adjoints le chapitre de
(') \ oir ci-dessous, p. 64 et suiv. but que d'arriver à un traité définitif, officiel
''' Clément V confirma, le i(^ août i3oG, et public, certains échanges et opérations que Guillaume '*' Acta Sanctorum, Oct., t. I, p. 539-599.
avait soumis à son approbation (11. Grange, Cette mission fut conllée à Guillaume Durant
Sommaire des lettres pontificales concernant le peu après sa mission politique en Italie. La
(jiiril, XI y' sil^cle. Ninics, 1911, 1" partie, ])remiére lettre de Clément \ , qui s'y réfère , est
p. l'y, n° 5). Nous devons supposer qu'à cette daJée de lîordeaux, aS août i3o6; mais l'exé-
dale l'évèque était de retour en France. cution fut retardée profiter multa et varia impe-
'^' Nous nous sonnnes plus d'une fois de- dimenla [ibid., ]). 586). mandé si le complot de i3o4 n'avait pas eu '*' \'oir ci-dessous, p. 64 et suiv., -ja et
pour résultai d'ajourner la conclusion défi- suiv,;cf aussi p. 56-57.
nilivp et la pronmljjatlon d'un accord déjà ''' 0;y/();i;inn(C<, t. \l, p. 296, et variantes au
réglé, et dont les conspirateurs auraient eu con- t. XVI, p. 256; (i. de Burdin, Documents hi'-
naissance. S'il en était ainsi, les négociations toriques sur la jirovince de Gévandan , t. I,
et pourparlers en cour, dont nous disons un p. 359-376. mol dans le texte, n'auraient guère eu d'autre '"' Arch. nat., J 34i, Mende, n° 4.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 21
Mende'''; cette circonstance fort intéressante n'est pas relatée dans la charte parallèle qui émane du roi. Confirmé à maintes reprises par les rois de France'^', en dernier lieu par Louis XV, en 1720'''', le pariage de 1 807 a continué jusqu'à la lin de l'ancien régime à régler théoriquement les rapports du roi et de révêque'*'. Nous l'analyse- rons sommairement.
Tout pariage est une association. L'association de 1807 ne comprend pas l'ensemble des biens du roi et de l'évêque : toute une catégorie de terres et de droits afférents à ces terres en est exclue. Pour ces territoires hors pariage, le roi et l'évêque restent, en regard l'un de l'autre, sur le pied de la quasi-indépendance réciproque où ils étaient avant 1807. En d'autres termes, Philippe le Bel et Guil- laume font chacun deux parts de leurs droits : pour une part, ils concluent un pariage, ils s'associent; pour l'autre part, celle des biens propres, ils demeurent dans le statu (juo ante. La lecture atten- tive du document nous conduit à constater que la major superioritas et le ressort souverain sont reconnus au roi, non pas à l'évêque, quant à ses biens propres'^'. En revanche, et ceci est capital, le roi met en commun avec l'évêque le merum et mixtum împerium, la juri- diction haute et basse et le ressort, tous les jura regalia sur les biens compris dans le pariage''''. Que sont donc ces biens, objets du pariage .►* Précisément ceux sur lesquels l'autorité de l'évêque est très im^iarfailement assise. Cette clause, par conséquent, étrangle la fière et insoumise aristocratie du Gévaudan.
Le prieur d'ispagnac, par exemple, est directement touché. Voici comment : il est expliqué que ce prieur a conclu lui-même antérieu-
''' « Assistenlibus nobis venerabilibus viris *'' Comparez le passages relaliTs à ces biens
« Raiidone de Tornello, preposito Aniciensi réservés dans G. de Burdin, t. 1 , p. 363-
• et canonico Mimatensi, et R. Barroti, precen- 365.
• tore Mimatcnil, cuin quiDus transigendi et '•"' Voir Je texte, ibid. , p. 363. Convient-il «coniponendi potestatem a nostro capilulo de rat'acher à cette souveraineté de l'évêque « habebamus» ((7'i(Z. ). le privilège du port d'armes dans toute
'*' Notanniienl en i3i5 par Louis X (Or- l'étendue du royaume, qui lui fut accordé en
donnanres, t. XII, p. 4«o) et en février i3i7 i3io, à lui et à ses serviteurs ( Arcb. de
par Philippe le Long (Arch. nat., J 34i, la Lozère, G 864, d'après V Inventaire , t. I,
Mende, n" 3; JJ 53, n° ia8; cf. Ordonnances, p. i85) ? Lors d'un procès soutenu en i34i ,
t. X\'I, p. Qa5). le procureur du roi déclara que ce droit
'^' TextedansG.de Burdin, t. I, p. 38i-38/i. de port d'armes, attribué à l'évêque, causait
**' Cf. Ch. l'orée. Le consulat et l'administra- au pays dommages et violence (Arch. de
tion municipale lie Mende (Ptirii,i^O-i), p. xt\, la Lozère, G 873, d'après l'Inventaire, t. I,
cxxxiv et cxxxv. p. 186).
22 GUILLAUME DUMNT LE JEUNE,
rement un pariage avec le roi; l'évèque souhaite la résiliation de ce contrat, qui lui porte préjudice. Le contrat cependant ne sera point supprimé; mais on arrive au même résultat par cette voie, tout à la fois élégante et correcte : le roi met en commun avec l'évèque tous ses droits de pariage sur Ispagnac. En d'autres termes, le grand pariage de iSoy avec l'évèque se superpose au petit pariage d'ispa- gnac avec le prieur et l'écrase. Peut-être cette clause du futur contrat de pariage était-elle déjà connue ou entrevue en i3o4, lors du com- plot criminel ourdi contre Guillaume. Elle dut exaspérer le prieur d'ispagnac.
Précisons maintenant quelques détails de ce pariage ou association des deux pouvoirs. En vue de régir la catégorie des biens mis en pariage, le roi et l'évèque instituent d'un commun accord un bailli et un juge ordinaire, chargésde rendre la justice en leur nom collectif. Au cas où ils ne s'entendraient pas sur le choix de ces dignitaires, la nomination en serait faite, une année, par le roi et, une année, par l'évèque. Le bailli et le juge ainsi nommés désigneront les ofilciers subalternes. La cour commune siégera alternativement, une année, à Mende et, une année, à Marvejols. Les émoluments de celte justice commune seront partagés entre le roi et l'évèque'''. En cas de récu- sation du bailli ou du juge, le sénéchal de Beaucaire et l'évèque pourront adjoindre à la cour un prud'homme [probus vir). Le roi et l'évèque nommeront aussi un juge d'appel de la cour Commune, ©u, comme on disait jadis, un juge d'appeaux. Les arrêts de ce juge d'appel ne pourront être attaqués que devant le roi [in caria nostra Franciœ) ou devant le sénéchal de Beaucaire'-^. Cette dernière clause rend illu- soire, au point de vue de l'évèque, la mise en commun du merum impennm et du ressort.
Est-il besoin de signaler les inconvénients de ces nombreuses voies de recours, notamment au Parlement de Paris et au sénéchal de Beau- caire.^ Sans compter que la situation se trouvait encore compliquée par le fait des commissaires que le Parlement déléguait en Gévaudan. Cernai, les parties en cause le sentaient vivement, et il leur arriva quel- quefois, dans l'espoir d'éviter ces renvois interminables de juridiction
'■' Cf. Arch. <le la Lozère, G 867, d'après ''' Cf. Boularic, Actes du Parlement de
l'Inventaire, t. I, p. i85. Paris, t. l, n" 7348 (appel de i3a3).
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 23
en juridiction''^ de formuler un premier appel en termes intention- nellement vagues et compréhensifs : ad jiidiceni appellatioimm, tel ad senéscallum Belhcadri , sea ad nos, lisons-nous dans un arrêt du Parle- ment, ad illiiin tamen,ad Cjiiem. meluis possunt et debent appellarc appella- verunt ^"^K
()uant aux droits fiscaux, il est dit que, dans les terres communes, le roi ne ])ourra lever de tailles sans le consentement de son parier. Ilelativement aux terres de l'évêque le pariage est muet : les évêques pourront donc soutenir que cette interdiction de lever la taille existe a forliori sur leur domaine propre, et ils défendront, en effet, vivement cette prérogative et, du même coup, les privilèges de leurs sujets. En i333, au début de la guerre de Cent ans, les citoyens de Mende, auxquels le bailli de Marvejols réclamera l'impôt royal, se lève- ront menaçants et proclameront qu'ils n'ont d'autre roi que leur
eveque'^^
Mais revenons au texte même du pariage. Nous y voyons que le roi prend sous sa protection el sauvegarde spéciale l'évêque, sa famille et ses serviteurs, le chapitre et l'église de Mende. Enfin le Gévaudan est érigé en comté : l'évêque et ses successeurs se qualifieront comtes de Gévaudan. A l'occasion de ce titre, il est dit, dans la convention même de pariage, que, théoriquement, la moitié de ce comilatus appartient au roi, car l'évêque ne touche lui-même que la moitié du péage de Mende, évaluée à forfait à 20 livres, mais inférieure en fait à ce chiffre '"^l Cette observation présente un intérêt historique qui n'échappera pas à quiconque se préoccupe de l'origine des évêques- comtes. Le droit de battre monnaie d'argent ou de billon est reconnu à l'évêque; cette monnaie a cours dans tout le Gévaudan.
'"' Voir l'énumération de renvois répétés, le procureur du roi soutint que ie roi avait
qui donuent une bien fàclieuse idée de ces amoindri son patrimoine en donnant à
procédures, dans un arrêt du Parlement de l'évêque vingt livres par an, à prendre sur le
Paris, du i5 février iSaS (Arch. nat., X'* 5, péage de Mende (Arch. de la Lozère, G 878,
loi. 4a6 v° et ia^ ; analyse dans Uoutaric, d'après VInvenlaire , t. 1, p. 186). Voir le texte
t. II, p. 61 1, n° 7789). du pariage dans G. de Burdin.t. I, p. 359-376.
''' Affaire compliquée, où figure Richard de Cf. une lettre de Philippe le Bel, du 10 mars
Peyre (Arch. nat., X'' 5, fol. 458 v* et 459; i3o4, dans Roucaute et Sache, p. 34-36,
analyse dans Boutanc, 1. 11, p. 6i5, n° 7828). n° xviii; Arch. de la Lozère, G a56 {Inveiit.,
''' Ch. Porée, Le consolai et l'administration t. I, p. 59) et G 864 {Invent., t. 1, p. i85);
municipale de Mende, p. xxi. D. Vaissette, llist. de Languedoc, éd. Privât,
'*' En 1 34 1, lors d'un procès contre l'évêque, t. IX, p. 297, note 1.
24
GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Quant à la catégorie des biens propres, qu'il est souvent si difficile de distinguer des droits mis en commun et faisant l'objet du pariage, il nous suffira de dire, sans entreprendre une longue et fastidieuse énumération, que la ville principale des domaines propres du roi est Marvejols'", et que la ville principale des domaines propres de févêque est Mende'^'.
Ce résumé rapide permet d'entrevoir les nombreuses difficultés qui, fatalement, surgiront'^'. H fait également bien sentir que lessei- gneurs du Gévaudiui auront désormais un maître, le roi ou févêque, sinon le roi et févêque réunis. C'est ce que la noblesse comprendra parfaitement : contre le pariage entrevu elle a fomenté un mouvement criminel; contre le pariage conclu elle se coalisera et fera judiciaire- ment opposition '''*.
Une liste des opposants au pariage, dressée en i3o8, s'ouvre ainsi par le nom d'un seigneur puissant, Béraud de Mercœiir, que nous retrouverons au cours de ce récit'^'. Sur la même liste figurent — et cela n'est pas pour nous surprendre — Astorg de Peyre, Gui de Cénaret, Hugues de Quintinhac'*"'. L'opposition légale de i3o8 resta d'ailleurs stérile : le roi et févêque usent de procédés dilatoires, mais ces procédures se prolongeront pendant trente-trois ans et se termi- neront par la défaite des barons ou de leur postérité '''.
"' G. (le Burdin, l. I, p. 39-34; Ch. Porée, p. XVI, note 2. — Le roi a en outre, à Mar- vejols, une juridiction commune ^vec le sei- gneur de Peyre; voir une difficulté à ce sujet dans Roucaute et Sache, p. 96-98, n° xxxxviii.
''' Sur ces domaines propres de l'ëvêque, voir G. de Burdin, t. I, p. 33-37; Ch. Porée, Le consulat et l'adminislration municipale de Mcnde , |). xvii, note 1.
''' Joignez Houcaute et Sache, n" xxvii à xxxiii, xxxvii à xxxxi, xxxxiv à xxxxvi et passim.
''' Roucaute et Sache, p. 67, n" xxxiii.
'*' Voir plus loin, p. 39.
'*' Rouraute et Sache, p. ao3-ao4-
''' Cf. Roucaute et Sache, p. 67, n° xxxill, p. ao3-ao8. Un mémoire, rédigé après la mort de Guillaume Durant et copie par feu l'abbé CharboiHiel, contient les articles suivants rela- tifs à l'opposition féodale :
3/|. «Item, quod aliqni de diclis nobilibus.
• qui fecerant et perpetraverant plura nialeficia
• et delicta dicta lite pendente, dubitantes jus- « titiam régis, qui fortificabat ecclesiam , ratione
• pariatgii initi, et penasquas debebant portare «ratione delirtoruni per eos coinmissoruni, tra- «diderunt diveisos articulos in l'arlamento «contra diclum pariatgium pariter; et fmalilcr
• mandavit rcx scnoscallo Bellicadri et suo pro-
• curatori quod adjornarentur ad Parlamentum
• tune s«'quens omnes illi qui vellcnt se oppo-
• nere contra dictuni pariatgium, ad ccrlam
• diem, et quod venirent cum omnibus muni- « mentis suis ad dicendum et objiciendum con-
• tra dictum pariatgium , alioquin in poslerum
• minime audirentur. Et ila fuit factum.
35. tltem, quod dicti nobiles, barones, «comptores, castellani et alii de patria non se
• opposuerunl nd diclam dleni eis assignalam
• in dicto Parlamcnto, et si aliqui se opposue-
• runt, non tamen sunl prosecuti suam o[>|)o-
• sitionem; sed dicta compositio, pariatgium, < communie et associatio remansit in sua vir-
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 25
Cependant une émeute parallèle à ce recours à la justice fut répri- mée et sévèrement punie par le Parlement de Paris. Le chef des émeu- tiers n'était autre que le lieutenant du baile royal''' de Marvejols, vieux fonctionnaire que le régime nouveau amoindrissait cruel- lement*^'.
La lutte de Marvejols contre l'évêque s'identifie, à bien prendre, avec la lutte des de Peyre contre le même évêque. Marvejols él.'lit, eu effet, avsint le pariage , le centre féodal des de Peyre : ils y exerçaient, en commun avec l'autorité lointaine du roi, un pouvoir respecté; ils y avaient, en féglise des Mineurs, des tombeaux de famille'^'. Leur crédit semble y avoir été considérable : on sent que, lors du pariage, une partie de la population partagea l'indignation et la colère de ses seigneurs.
En 1809, au lendemain de fémeutede i3o8, un fait matériel, qui rendait palpable et visible à tous l'installation du pouvoir nouveau, vint frapper les populations : des fourches patibulaires et piloris furent établis sur les terres communes au roi et à l'évêque. Les fourches lurent dressées entre Mende et Marvejols, un pied dans le domaine royal et l'autre dans le domaine épiscopal''**.
Enfin cette année 1809 fait date, non seulement dans l'histoire de ces contestations'^', mais surtout dans celle des embarras d'argent qui en résultèrent pour notre prélat. En septembre, il exposait à son clergé cette situation difficile, lui disait ses litiges compliqués et demandait, de ce chef, un nouveau subside caritatif, les frais se multipliant avec les incidents de procédure'*''. La même année, Guillaume se procura un autre subside qui n'avait rien de caritatif: il obtint du roi le tiers de
« Iule et fuit concordatum , servalnm et raliflca- Peyre , dans liullelin de la Société d'agriculture. . .
• tuin por ipsos expresse vel tacite. . . » de la Lozère, 186G, t. XVII, t' partie, p. aig
Rapprochez Iloucaute et Sache, p. 67, 81, et siiiv., 29G; Koucaute et Sache, j). i3(), i3i
note I, 302 el 208. et note a. — Ajoutons tjue, d'après plusieurs
'"' (]e baije royal nous parait ne faire qu un témoignages produits en 1 3 1 7, Astorg dt- Peyre,
avec le chef de Ja cour commune du roi et du que nous appellerons pins loin Astorg 1", fut
seigneur de Peyre. Il n'est pas surprenant qu'il inhumé au monastère de Chirac (Arch. de la Lo-
soil hostile à la puissante cour commune du zère, G8()i, vers la lin du registre), roi et de révê(|ue. (*' Roucaulc et Sache, p. 89, n° xwxv.
'*' Boutaric, Acte/ du Parlement de Paris, '*' Voir, an sujet de ces conl«>stations, Arch.
, t. II, p. 57, n" 3587; Itoucaute et Sache, de la IjOzère,G ao, 783, 787, 837, 8G/1 (/«ccn-
p. 81, n° xxxxiii, I, p. 106, note i; Arch. lairc.t. I, p. 173, 180, i85); BouUric, Actes
de la Ix)zère, (i -jSi (Inventaire, t. I, p. 17a). du Parlement de Paris, t. II, p. 58, n° SSyG;
*'' Arch. de la Lozère, Inventaire, série K, Koocautc et Sache, p. v, 9a, gS, n° xxxxvii. p. 1 35 ; 1)' B. P[runières], L'ancienne baronnie de ''* Arch. de la Lozère , G 33.
HIST. I.ITTÉR. XXXV. 4
26 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
tous les biens des Juifs du Gévaudan. L'évêque eût voulu, à l'occa- sion de l'expulsion générale de 1 3o6, s'approprier le tout; mais le roi exigea pour lui-même les deux tiers'*'.
Les préoccupations financières ont joué dans la vie de Guillaume Durant un rôle énorme. H fit entendre à Philippe le Bel que le pariage l'avait appauvri et obtint, assure-t-on, cette étrange promesse : le roi ferait négocier auprès du souverain pontife l'octroi d'une rente de cent livres à prélever au profit de l'évêque sur les prieurés du Gévau- dan '-'. Cette requête fut-elle vraiment présentée à Clément V ? La laveur ambitionnée fut-elle accordée.^ Nous ne sommes en mesure de répondre ni à l'une ni à l'autre question. Mais nous constatons que, en i3o6 et en l^oS, Clément V vint au secours du prélat en lui accordant l'autorisation de réunir à la mense épiscopale, dont les revenus étaient, au dire de l'évêque, extrêmement exigus, d'abord quatre, puis deux paroisses de son diocèse'^'.
En dépit de difficultés, sans cesse renaissantes''^', le pariage de Mende, maintes fois confirmé, se maintint cependant jusqu'à la fin de l'ancien régime. La plus ancienne confirmation remonte à Louis X et à l'année i3i5. En même temps que cette confirmation du pariage, Mende obtint toute une série de ratifications de chartes antérieures*^', dont la plus importante était celle du 2 3 mars i3o3, qu'on a quelquefois qualifiée grande charte française*^'.
A ces vidimas ou confirmations se joignent deux chartes nouvelles, datées de décembre 1 3 1 5. Ce sont des chartes de liberté, qui font pen- dant à la charte aux Normands, à la charte aux Auvergnats, à la
<'' Outre son tiers, l'évêque obtint, hors Marvejols en iSaa (André, iii't/., p.go, note i). part, la maison d'un Juif (le la ville de Mende, •'' Roucaule, La jormalion territoriale (la
qui était tout à fait à sa convenance. Sur les domaine royal en Gévaudan, p. 84- Juifs en Gévaudan et sur les arrangements de ''' Reg. Cleni. V, ann. I, p. aSa, n° iSSa;
Guillaume avec Philippe le Bel, voir André, ann. III, p. 191, n° 3o48.
Notice snr les Juifs , dans Bulletin de la Société '*' Les efforts des seigneurs jwur obtenir la
d'agriculture. . . de la Lozère, 1872, t. XXIII, révocation du pariage de i3o7 sont fréquents
partie hist. , p. 85-90; Roucaute et Sache, au XV* siècle. Ils demeurèrent vains. |). 53-56 et 116-118. La lettre de Philippe '*' Parmi lesquelles on peut citer deux
le Bel, que MM. Roucaute et Sache publient, chartes de saint Louis. Cf. Arch. de la Lozère,
p. 116-118, n" LViii, est datée : Anno mille- G ao; A. Artonne , Le mouvement de iSiU et
simo trecentesimo nono , mense aprilis. La fête de les chartes provinciales de 1315 (Paris, 191a),
Pâques tombait, en i3o9, le 3o mars; il y eut p. 88.
donc deux mois d'avril dans l'année i3o9 '*' ^rf/o/inanccs, t. I, p. 354. Pour les antres
(ancien stvie). L'expulsion ne fut pas com- chartes confirmées en 1 3 1 5, voir le détail dans
plèle, car il y avait encore quelques Juifs h Artonne, p. 85.
ÉVÊQUE DE MENDE. — SA VIE. 27
charte aux Picards, à la charte aux Champenois, en un mot à toutes les chartes que Louis X accorda aux alliés coalisés. Mais elles n'ont rien d'original : elles ne sont autres que la charte aux Bourguignons et Forésiens''' et la charte aux Languedociens'"^', en tant que ces deux documents se peuvent appliquer aux habitants du Gévaudan, proul se possnnt extendcre ad cosdein et ad eos pertuiere. Nous remarquons que l'expédition de ces chartes est adressée à l'évèque de Mende, aux autres personnes fl'Eglise et à leurs sujets; les féodaux laïques ne sont pas visés dans ce salut initial''''. Le roi, se souvenant du pariage de iSoy, dirigé contre l'aristocratie gévaudanaise, aurait-il voulu éviter de lui accorder quelque apparence d'encouragement? Nous indiquons cet aspect de la question, nous gardant de rien affirmer, car ces bénéfices d'assimilation aux Bourguignons et aux Languedociens furent accordés par Louis X à un très grand nombre d'évêques de France, peut-être à tous, peut-être enfin dans les mêmes termes. Le roi récompensait ainsi les prélats de l'octroi de la décime pour la guerre de Flandre'*', dépendant (îuillaume Durant paraît avoir été, en cette circonstance, plus généreusement traité que la plupart de ses confrères: ce fut, en i3i5, pour f évoque de Mende, une vraie pluie de faveurs et de libertés. Il avait besoin, pour maintenir son pariage, de l'amitié solide du roi; il avait su se la ménager.
Le grand pariage de 1807 n'est pasle seul qui appartienne à notre étude. Deux autres pariages doivent être ici mentionnés.
En i3ii, Guillaume Durant donnait pouvoir au préchantre et à deux chanoines de Mende de traiter, avec les fondés de pouvoir du roi (parmi lesquels Guillaume de Plaisians), d'un pariage pour diverses localités appartenant soit à f église de Mende (Saint-Julien d'Ar- paon et Fontanilles), soit au roi (Saint-Etienne-Vallée-Française)'^'.
En i3i5, Guillaume concluait encore avec le seigneur d'Alais un
'"' Disons, avec plus de précision, la deu- comme le prouve une lettre adressée le 20 aoùl
xième charte aux Bourguignon» ( Artonne, ifciJ., i3i4 par se» vicaires généraux aux barons,
p. iS?)- comtors, châtelains et autres nobles, feuda-
''' Disons, avec plu» de précision, la pre- taires de l'evéché , leur ordonnant de se rendre
mière charte aux Languedociens (Artonne, avec chevaux, cavaliers et fantassins armés,
p. i55). sous la bannière de l'église de Mende, ver»
''' Ordonnances, t. XI, p. 44o; Arch. de la Arras, pour la défense du royaume (Arch. de
Lozère, G 19. la Lozère, G 27, d'après l'Inventaire, t. I,
'•' Artonne, p. 85, 86, 88. L'évèque de p. 7).
Mende s'était distingué par son loyalisme, ''' Arch. de la Lozère, G 824-
28 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
partage, qui nous fait toucher du doij^t un état de la propriété au moyen âge, très curieux et trop peu remarqué : nous voulons parler de l'extrême fractionnement des droits de propriété et des droits féodaux fonciers, fractionnement accompagné d'indivision persis- tante. L'évê([ue de Mende et le seigneur d'Alais mettent en com- mun, entre autres biens, des fractions de mouvances qui appar- tenaient avant le traité au seul seigneur d'Alais : févêque commence par acquérir, moyennant une somme d'argent, la moitié des droits qui vont être l'objet du pariage ; une fois cette situation de proprié- taire réalisée, il conclut le pariage. Nous notons, entre autres objets de cette singulière association, deux parts de la moitié de la mou- vance du château de Sueilhes'*', au diocèse de Nîmes, déduction faite du tiers de cette moitié pour lequel fhommage est du au roi'-^. Nous avons peine à comprendre pareil émiettement delà propriété féodale ; il n'était pas rare cependant'''^
Très répandu, très actif, Guillaume avait évidemment de grands besoius d'argent, et, tout naturellement, il faisait appel, comme on l'a vu, à son fidèle clergé. Il avait cependant, à foccasion, quelques ressources extérieures. C'est ainsi que, désigné en août i3o8 parle pape Clément V pour prendre part à l'enquête dirigée contre les Templiers, il se vit allouer une vacation journalière de douze florins d'or à prendre sur les revenus de fOrdre''''. L'affaire des Templiers l'occupa à plusieurs reprises. En i 3 i i , il était membre de la com- mission chargée de réunir et de vérifier les comptes des administra- teurs des biens de la milice du Temple'^'. On peut conjecturer qu'il ne chicana pas sur l'attribution des douze florins par jour, dont nous venons de parler. Cette affaire des Templiers valut à Guillaume des animosités nouvelles, qui, s' ajoutant aux hostilités anciennes, parais- sent l'avoir fortement ému. Une fois encore, il crut sa' vie menacée
'"'Comni. et cant. de Saint'>)ean-da-Gar(J , d'autres fractions de l'ractions ; il est l'ait men-
arr. d'Alais. tion notamment d'un arbre tenu en fief ( Arch.
'"' Arch. de la Lozère, G 7a, d'après Un- de la Lozère, G bb6). ventaire. t. I, p. 18. ''' Reg. Clem. V, ann. III, p. 319, n" 353 1.
'"'Un exemple parmi bien d'autres : Guil- Cf. Micbelet, Procès des Templiers, t. I,
lanme de Fontanilles tenait de l'évêque de p. 285.
Mende le quart du château de FonUnilles; '*' Reg. Clem. V, ann. VI, p. l33,n° 6816.
Guillaume P.squirol tenait du même prélat la — Son nom reparait, en i3i5, à l'issue de
moitit- de la vingt-quatrième partie du même ce cmel et douloureux procès [ibid. , ann. VU,
château, sans parler d'autres vassaux pour p. yi, n° 7886).
KVEQUE DE MENDE. — SA VIE 29
et, en juilfet i3ii, il obtint de Philippe le Bel l'autorisation de se faire escorter jusqu'à la fin de l'année par quelques familiers armés ''^ Ainsi dans son Gévaudan, et même dans la France entière, l'évêque- comte marchera précédé et suivi de gardes du corps.
Guillaume avait la confiance de la famille des vicomtes de Nai'- bonne. Il régla, en qualité d'arbitre, un différend qui divisait le vicomte Amauri il et son frère; sa sentence fut rendue, à Paris, le 19 février i3io -'. Douze ans plus lard, en i32a, il jouait de nouveau ce rôle (farbitre conciliateur, cette fois entre Amauri 11 et ses enfants '^'.
Pacilicateur, en i3io, de la famille des vicomtes de Narbonne, Gmllaume Durant assista, un peu plus tard, au concile de Vienne; il y fut accompagné par le prévôt et le préchantre de sa cathédrale et par \in neveu, vraisemblablement le chanoine de Mende, qui portait le même nom que lui et était versé dans l'étude du droit''"'. Avant la réunion du concile, l'évêque de Mende avait écrit l'important ouvrage par lequel sa mémoire devait être conservée à la postérité; c'est le traité De modo celehrandi concilu (/enemlis. Comme on le verra par fanalyse qui en sera donnée ci-dessous, l'auteur y démontrait la nécessité d'une réforme de l'Eglise dans son chef et dans ses membres et indif[uait les moyens de la réaliser.
Arrivé à Vienne, il essaya de répandre ses idées réformatrices et de les faires triompher. Par quels moyens, nous l'ignorons; ce n'est pas, en tout cas, par le mémoire intitulé Libellas de ivbns m con- cilio definiendis, rédigé après la première session du concile, qui lui a été autrefois imputé et qui certainement n'est pas son œuvre'^'. Sous quelque forme que se soit produite son action, nous savons, par une lettre de Jean XXII'®', écrite quelques années plus tard, qu'elle parut de nature à provoquer un schisme. Ce danger semble avoir été conjuré par l'intervention de Clément V; grâce à l'entremise de négociateurs ofiicieux, l'évêque désavoua son livre et obtint son pardon du pontife suprême. La réconciliation fut com-
'"' Roucaute et Sache, p. i35, n' lxxii. '*' Beg. Clem. V, ann. VII, p. 378, n° 8719.
''' Wégné, Ainauri II, vicomte de Narbonne, ''' Il est de Guillaume Le Maire ; voir cides-
p. 401-409, n° xviii. L'officialile de Pari» sous, p. i38.
homologue cet accord en i320 (ibid.,p. 428- '*' Lettre écrite en iSig à la reine Jeanne
432, n° xxiv). de France, dans Coulon, Lettres secrètes et
'^> Régné, ibid., p. a83 et 286. cuiiales de Jean XXll , t. I, n" 849.
30 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
plète; car nous pouvons constater qu'à l'issue du concile, l'évêque et ses familiers eurent leur bonne part dans les faveurs que le Pape distribua aux membres de rassemblée''^
En ces années i3i i-i3i2, qui sont celles du concile de Vienne, Guillaume Durant fit dans son diocèse plusieurs fondations, que nous devons mentionner. H fonda, en i3ii, à Marvejols une col- légiale dite : « Collège des prêtres et des clercs de Notre-Dame de Marvejols». Ces ecclésiastiques étaient chargés d'assurer des oHîces réo^uliers ; tous devaient savoir lire ; aucun prêtre de mauvaise vie ne pouvait être admis dans la communauté. Le document est daté de Paris, en la maison de M' Guillaume de Cbanac (le texte dit Chant) , près Saint-Germain , i 2 janvier 1 3 1 1'"^', où habitait le prélat.
Le Speculator avait ordonné dans son testament la fondation d'une chapellenie en l'église cathédrale de Mende et désigné à cet efiet l'autel de saint Martin. Dès 1297, notre (Guillaume s'entendit avec le chapitre pour la création et de cette chapellenie et d'une aulre chapellenie à l'autel de saint Privât, dans la crypte. Le patronage de ces deux chapellenies devait appartenir à Pierre Durant, du diocèse de Béziers, frère de Guillaume. Cette fondation se transforme en i3i 2 ; notre prélat, trouvant la crypte très obscure, fait construire à ses bais dans l'intérieur de la cathédrale une chapelle assez spacieuse en l'honneur de la sainte Vierge et de tous les saints; il y établit quatre chapelains, chargés de prier Dieu pour l'àme de Guillaume Durant l'ancien et pour ses parents. Une maison à Mende sera la rési- dence des chapelains'^). Ce collège, dit de Toussaints, doit une rede- vance au chapitre. L'acte que nous venons d'analyser fut passé à Lyon, dans le monastère des Clarisses, où Guillaume résidait en ce moment'*'.
Une troisième fondation , œuvre commune de l'évêque, du chapitre et d'un prêtre de Mende, date aussi de i3i2. Elle a pour but d'as- surer et de développer le service religieux de la grotte de saint
C Reg. Clcm. V, ann. VII, p. 278-280, tins, t. I, p. 76; André, Les évêqaes de Mende
n" 8719-8721 (lettres du 23 juin i3i3). pendant lexiv' sièele, dans Bulletin de la Soeiété
'*' Arch. de la Lozère, G 2247. d'agriculture... de la Lozère (1871), t. XXll,
("> D'après les frères de Sainte-Marthe, les 2° partie, p. 3). Quelques débris de ce collège
Bénédictins et F. André, la résidence des cha- des chapelains subsistent à Mende, rue Nolre-
pelains fut l'ancienne synagogue (Scévole et Dame. Le nom de cette rue en rappelle aussi le
Louis de Sainte-Marthe, Gallia christ., t. III, souvenir, p. 73; nouvelle Galliu christ., par les Bénedic- ''' Arch. de la Lozère. G a38i et 2382.
ÉVÈQUK DE MENDE. — SA VIE. 31
Privât, qui jusque-là n'a eu qu'un seul chapelain. Il y en aura désor- mais quatre; ces quatre chapelains du collège de Saint-Privat- la-Pioche vivront eu communauté. Trois d'entre eux sont dotés par l'évèque, le chapitre et le préchantre; le ([uatrième est doté par un prêtre de Mende, appelé Pierre Frontut. Les quatre chapelains furent installés dans un hâliment construit, au dire des historiens de Mende, en i3 17 '''.
Nous rapprocherons de ces fondations divers actes qui témoignent aussi (le 1 intérêt actif qufe Guillaume portait aux affaires du diocèse : il unit plusieurs églises à la mense épiscopale, lit hàtir la chapelle (le Rramonas "^' et l'église paroissiale du Villard''' , dota l'évêché de la terre et seigneurie du Cheylard, nommé depuis Cheylard-l'Evêque'"'. Après de longues contestations, il déclara, avec beaucoup de solen- nité, soumis à la juridiction de l'évèque de Mende un couvent de reli- gieuses bénédictines, relevant de l'abbaye de Saint- Jean-du-Buis d'Aurillac, le prieuré du (^hambon'^'.
\ers la fin du règne de Phili|)pe le Bel, en janvier i3 i3, fut tenue à Paris une réunion de prélats et de barons, où l'on délibéra sui- le projet de croisade dont s'était occupé, l'année précédente, le concile de Vienne. Guillaume Durant fut invité par lettre du roi, du 3o dé- cembre 1 3 1 j , à se rendre à l'assemblée '*"'. C'est certainement à cette occasion qu'il rédigea un mémoire dont il sera question ci-après'^'.
L'évèque de Mende était dans les meilleurs termes avec le roi. La marque la plus frappante de cette bonne entente est peut-être une lettre du 22 mars i3i4, par laquelle Philippe le Bel prescrivait le dépôt, dans le trésor du chapitre de Mende, de tous les registres et mémoires envoyés au Parlement par le sénéchal de Beaucaire, en sa qualité de procureur du roi, au cours de l'interminable procès qui aboutit au pariage de i3o7; ces mémoires devaient être réunis à
'■' Arch. de la Lozère, G a366; Félix Re- ''' Comm. de Balsièges, cant. de Mende.
niize, Saint Privât, martyr, évéqae du Gévaudan ''' Cant. de Chanac, arr. de Marvejols.
(Paris, 1910), p. SaS-.^ag. '*' Gant, de Chàtoauneuf-de-Randon, arr. de
D'une cliapclienie fondée à Saint-Sifirein de Mende. Art. cité, p. 32.
Carpentras il est dit dans des actes du moyen ''' Arch. de la Lozère, G 6^7 (acte de
af;c : « per Guillermum Durant, ut dicitur, l'un- iSoa). Cf. H 336 (Inventaire, p. 1 13).
• dntuin» (Bibl. d'Avignon, ms. 4aa3). De quel ''' Roucaute et Sache, p. i4ii n° lxxiv.
Guillaume Durant s'agit-il? ''' Voir p. 129.
32 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
ceux que 1 evêque, partie adverse, adressait lui-même à la cour pour défendre sa cause : 71 registres et 19 rouleaux du côté du sénéchal; 35 volumes et 48 rouleaux ou documents du coté de l'évêqi^e'''. L'un des mémoires rédigés pour le compte de l'évêquc, mémoire con- servé aux Archives de la Lozère, a été publié de nos jours, et nous l'avons utilisé plus haut.
Entre Guillaume et Louis X ces bons rapports continuèrent. En 1 3 1 5, l'évêque rejoignit à Arras l'armée royale, qui marchait contre les Flamands '^^ Nous le trouvons, en 1 3 1 6 , siégeant aux Enquêtes et en la Grand Chambre'^'. Sans doute, il avait déjà le titre de conseiller du roi, que lui donnent explicitement des actes de 1 3 18 et de i32o''". La conliance enfin qu'il inspirait à Philippe le Long lui valut l'hon- neur déjouer un rôle dans la dernière phase des grands débats, qui, à la mort de l'héritier posthume de Louis X, surgirent entre Philippe et plusieurs grands leudataires au sujet du droit de suc- cession à la couronne.
Au moment où nous rencontrons dans les documents de cette pé- riode agitée le nom de Guillaume, la succession de Louis X n'est pas encore pleinement et tranquillement assurée. Sans doute, le frère du roi défunt, Philippe, comte de Poitiers, s'est déjà fait sacrer à Reims (9 janvier iSi/]. Une assemblée de nobles, de prélats, de doc- teurs de l'Université et de bourgeois notables réunie à Paris, en fé- vrier 1 3 1 7, a approuvé et confirmé cette prise de possession, rejeté par conséquent les réclamations de ceux qui revendiquent le trône pour Jeanne, fille du feu roi Louis X. Enfin l'Université elle-même a adhéré en corps. Philippe, très habile et très actif, a su gagner à sa cause son frère Charles, comte de la Marche, et son oncle, Louis, comte d'Evreux. Mais Eudes, duc de Bourgogne, frère de Marguerite, première femme de Louis X, et, par conséquent, oncle de Jeanne, Eudes, petit-fils de saint Louis par sa mère Agnès, Agnès elle-même, duchesse douairière de Bourgogne, restent attachés à la cause de Jeanne. Agnès a même lancé, le 10 avril i3i7, une protestation so- lennelle, rédigée dans une assemblée tenue à Esnon, près de Joigny : elle persiste à réclamer le trône pour la fille de Louis X. Les nobles
'■' HoucauteelSaché, p. iSy-iôS, n°LXXXlv. ''* Boutaric, t. Il, p. i43-i44.
''' Arcli. di' la Lozùre, G 1 30, d'après 17«- '*' (loulon, Lettres da pape Jean XXII,
ventaire, t. I, p. 37. n" 776 et 778; Arch. de la Lorère, G 783.
EVEQLE DE MENDE. — SA VIE. 33
de Champagne ont répondu nombreux à cet appel. Louis, comte de Nevers et de Rethel , fds du comte de F"landre , a embrassé , lui aussi , la cause de Jeanne. Tous ces opposants refusent de rendre hommage au « comte de Poitiers » , c'est ainsi qu'ils persistent à qualifier celui qui vient d'être sacré à Reims.
Pour venir à bout de ces adversaires, Philippe le Long mit en œuvre plusieurs procédés. Il réduisit par les armes le comte de Nevers. Au duc de Bourgogne il laissa entrevoir un mariage avec sa propre fille, pourvue d'une très belle dot; leur nièce, la fille de Louis X, épouserait Philippe, fils aîné de Louis d'Évreux. En même temps que se poursuivaient ces pourparlers, le nouveau roi constituait un groupe d'arbitres médiateurs, sur lequel il s'était ménagé la haute main et dont la mission, d'allure à demi juridique, consistait à statuer sur la question des hommages, autrement dit sur la question théorique des droits de succession à la couronne.
C'est dans ce groupe, où se poursuivent des négociations très actives et très pratiques, que nous rencontrons l'évêque de Mende. En juillet iSiy, il est au nombre des seigneurs, ayant à leur tête Louis, «fils de roi de France''^), comte d'Evreux, qui exposent à la féodalité armée l'état des négociations et projets officiels d'arbitrage entre le nouveau roi et ses adversaires, à savoir Eudes, duc de Bour- gogne, Eudes, comte de Joigny, et plusieurs autres genldshommes champenois. L'organisation de ce travail d'arbitrage officiel, qui couvre des eflorts plus pratiques, est assez compliquée.
Le comte d'Evreux et ses acolytes, agissant au nom du roi et se quaHfiantsesprocureurs, nous narrent eux-mêmes,au cours d'un exposé général, comment Guillaume a pris place dans ce groupement dévoué au roi. Ils ont désigné, disent-ils, quinze arbitres; à ces quinze ar- bitres le roi, « de sa volonté et de son spécial commandement », en a adjoint cinq autres, au nombre desquels le comte d'Evreux lui-même et Guillaume Durant. Si l'un des vingt arbitres venait à être em- pêché, le roi pourvoirait d'autorité à la vacance. La décision à laquelle s'arrêteront ces vingt arbitres, ou quinze d'entre eux, sera définitive et sans appel. Le duc Eudes et ses alliés s'obligent à ac- cepter la sentence arbitrale. Cette sentence sera rendue avant la Noël
''' C'est la formule ofTicielIe. Le comte d'Évreux était fils de Philippe le Hardi et de Marie de Brabant.
HIST. LITTÉB. XXXV. 5
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34 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
de l'année iSiy ; d'ici là les deux parties en présence, à savoir le roi et les alliés, observeront une trêve très rigoureuse.
Mais les arbitres n'ignorent pas qu'à côté d'eux le roi, se plaçant sur un terrain tout autre que le droit de succession à la couronne, travaille à sa manière et négocie. Il importe de laisser à son action la liberté et les délais qui lui sont nécessaires, car une sentence intem- pestive pourrait renverser l'édifice politique auquel il se consacre. Voilà pourquoi lesdits arbitres se réservent avec grand soin le droit d'ajourner leur décision : « lequel temps nous, ou les quinze de nous, « pourrons eslogner une foiz ou pluseurs, selon ce que il nous samblera «que sera à faire''^>. De fait, quand la Noël approcha, on ajourna jusqu'à la fête de Pâques de Tannée suivante; cette dernière décision est datée de Lorris-en-Gâtinais, i5 novembre iSiy '"^'. Les prévisions que suppose cet ajournement à Pâques étaient justes, car les projets de paix par voie de mariages, que nous indi(juions plus haut, furent délinitivement arrêtés avant Pâques, le 27 mars i3i8. La mission confiée aux arbitres s'évanouissait, par conséquent, d'elle-même, comme ils l'avaient pressenti.
Parallèlement à l'affaire des hommages de Bourgogne et de Cham- pagne, affaire d'ordre politique de la plus haute importance, s'était posée pour Philippe le Long une question moins grave, mais délicate à bien des égards, celle du douaire de la reine Clémence, veuve de Louis X. Guillaume Durant fut mêlé à ces pourparlers; il est fun des témoins du traité passé à Poissy, le if) août iSiy, par lequel furent réglées certaines conditions de ce douaire : la clause la plus intéres- sante en est peut-être celle par laquelle la reine Clémence cède au roi sa maison de Vincennes, le roi lui abandonnant en échange, soit • la « grant maison, qui fut du Temple, à la grant tour, vers Saint-Martin- « des-Champs » , soit la « maison appelée Neele, sur la rivière de Seine ■>. Dans cet acte, la reine (îlémence appelle le roi « noslre chier seigneur «et frère»; le roi appelle la reine Clémence « nostre chiere dame et Mseur^^'». L'accord de 1817 ne supprima pas d'ailleurs toutes les
''' Arci). nal. , J 3o6, Provins, n° 2. Ces nient de Philippe le Long, on peut lire : Paul
engagements forent pris à Melun, en juillet Viollet, //ufoiVp f/« institutions. .. de la France,
l3i7 (J 20/i, n° a). Cf. Coulon, t. I, n° aaS, t. II, p. 68-70; Lehugeur, Histoire de Phi-
note 3, et n° 869 , note 1. lippe le Long (Paris, 1897), p. 28-43 et 79-
<'' Arcli. nat. ,J aOi4.n° a. Sur les diiricultés io5.
et les contestations qui surgirent à lavène- ''' Arch. nat., J io3G, n° 7, et J io44.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 35
difficultés. En janvier i3i8. Ta (Faire du douaire n'était pas encore terminée, et le pape, qui avait conféré à ce sujet avec les ambassa- deurs du roi, parmi lesquels levêque de Mende, engageait la reine Clémence à prendre patience ''^
Les démêlés de Philippe le Long avec les « alliés » et avec la reine Clémence n'absorbaient pas toute l'activité et tous les instants de Guillaume, car nous le voyons, précisément en l'année iSiy, jouer ce même rôle d'arbitre entre Bernard VI d'Armagnac, les consuls et habitants du bourg de Rodez, d'une part, l'évêque, le chapitre de Rodez et les consuls de la cité, d'autre part. Le désaccord de Bernard d'Armagnac et de l'évêque avait pris naissance vers 1 3 1 5 , à l'occasion de la police des foires de Rodez. La querelle s'était ensuite développée et aggravée. 11 y avait eu lutte à main armée, suivie d'excommuni- cation lancée par l'évêque. Le 3i mars i3i7, Guillaume, assisté de deux commissaires du roi et du sénéchal de Rouergue, rendit une sentence arbitrale, qui établissait un pariage entre l'évêque et le comte. Cette sentence assoupit momentanément le dillérend, mais les contes- tations se renouvelèrent, et, en i325, Guillaume fut invité par le roi à intervenir de nouveau pour régler certaines questions restées pen- dantes. Le débat ne fut pas encore clos déhnitivement à cette date; il devait renaître ultérieurement''^'.
Bien que l'évêque de Mende ait écrit, du temps de Clément V, le fameux traité De modo celebrandi concilii , si cruel pour la cour de Rome , il ne parait pas, on l'a vu plus haut>^\ que le pape lui en ait, après la dissolution du concile, témoigné du ressentiment; au contraire, il le traita avec faveur.
Les relations de Guillaume Durant avec Jean XXII furent, comme on le verra, plus mouvementées.
Ces relations commencent dès l'année i3i6, au lendemain de l'élection du souverain pontife (7 août). À cette date, elles sont excel- lentes. Le conseiller du roi, lequel est l'ami du pape'*', semble avoir
n° 22. Cf. Coulon, n" 233 et 36i, avec les abbé Guérard, Documents pontificaux- sur la
notes. Gascogne, Pontificat de Jean XXII (Paris,
''■ Coulon, Letties secrètes et curiales de '9o3), t. II, p. 26, note 3; Bibl. nat., ms.
Jean XXII, n° 476. fr. 2637, p. 6i3 et suiv.; Gallia christ., t. I,
'*' D.Wa\ssele, Histoire de Languedoc, t. IX, col 96.
p. 35i-352; Baron de Gaujal, Études histo- ''' P. 29 et 3o.
riques sur le Rouergue, t. II,p. i53-i57 et i63; '*' Sur les relations amicales de Jean XXII et
36 GCILLAUMI-: DURANT LE JEUNE,
lui-môme la confiance du pontife. En voici la preuve. L'archevêque de Reims et son concile provincial ont entamé, puis délaissé, une procédure criminelle contre levéque de Châlons, sur lequel pèsent les plus graves accusations; en octobre i3i6, Jean XXII charge f ar- chevêque de Cambrai, les évêques d'Amiens, de Mende et d'Arras de poursuivre l'enquête, tout en maintenant sous bonne garde l'évêque accusé'". Bien que le souverain pontife ait écrit à ces quatre prélats de procéder SH/nmane et de piano, sine strepilii et figura judicii , l'afialre traîna en longueur; l'année suivante, le pape la rappelait aux quatre commissaires'"-', et, de nouveau, il les pressait de transmettre leurs conclusions à la cour de Rome'^'. L'innocence du prélat fut finalement reconnue'*'. Du reste, aux termes des lettres pontificales, la présence de deux des quatre prélats suffisait pour que fenquête fût régulièic. Nous ne pouvons donc affirmer que févêque de Mende ait pris à cette affaire une part effective et personnelle. C'est même peu probable, car en iSiy Guillaume faisait partie d'une ambassade solennelle envoyée par Philippe le Long auprès de Jean XXII pour l'entretenir de questions diverses : affaire de Flandre, demande de subsides, règlemeiit du douaire de la reine Clémence, projet de croisade, enfin projets d'érection d'archevêchés et d'évêchés, étudiés par le souverain pontife et auxquels le roi ne se montrait pas très favorable'*'. L'évêque de Mende partit pour Avignon en compagnie des évêques de Laoïi et du Puy, des comtes de Clermont et de Forez, et du sire de SuUi. Au commencement de f année i3i8, il était encore à la cour ponti- ficale; nous apprenons par une lettre de Jean XXII, du 25 mars i3i8, qu'il se disposait, vers cette date, à retourner à la cour de France '*"'.
Les mêmes évêques de Laon, de Mende, du Puy, et les seigneurs laïques ci-dessus nomrnés furent chargés par le roi de diverses mis- -sions, qui rappellent, pour partie, les enquêtes ordonnées par saint Louis, puisqu'ils avaient notamment pouvoir de réprimer les excès
de Philippe le Lonjj, voir Lehugeur, Histoire '^' Cf. Coulon , n° 33o, note a, et n° i'jS, (le Philippe leLonif.p. 30o-ao4- note 7; Ilisl. lill. de la Fr., t. XXXIV, f>.àc)/i; '"' MoUat, n' 1457. Lehugeur, ouvr. cité, p. ao/i 3o5. M. I.ehugcur, ''' ("oulon, n" 4 10. il est bon dVn faire la remarque, ne croit pas ''' Coulon, n° 5i6; MoUat, n° 0(565 (ai que Philippe le Long ait été hostile à ces de- mars i3i8). membrements.
•'1 G allia christ. , f. IX, col. 800-801. '*' Coulon, n° 5a5.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 37
et abus imputables aux officiers royaux. C'est précisément lors du voyage d'Avignon qu'ils jouèrent ce rôle d'enquêteurs réformateurs'^^. Ils eurent occasion d'informer au sujet d'une plainte portée devant eux ])ar l'évèque de Maguelone : plusieurs ofliciers royaux de la séné- cliaussée de Beaucaire avaient outragé, violenté et même incarcéré, les traitant de voleurs, un professeur de droit canonique à Montpel- lier'"*, conseiller et familier de cet évêque, et quatre autres clercs, atta- cliés à des tilres divers à la cour de l'évèque. Celui-ci demandait justice. Les commissaires, ou plus exactement deux d'entre eux (les autres ayant été retenus par diverses occupations) , adressèrent au roi un rapport entièrement favorable à l'évèque de Maguelone. Le roi transmit au Parlement le dossier de l'aflaire. Après que la cour eut entendu contradictoirement les parties, Philippe envoya à son Par- lement l'ordre de juger dans le sens indiqué par les commissaires, et l'arrêt rendu le 9 juin i3i8 fut, en effet, très dur aux officiers coupables ^^'.
Au mois d'avril i3i8, un accord solennel fut conclu, ])ar l'en- tremise de l'évèque de Mende, entre la duchesse de Bretagne Isabelle et son beau- frère Gui, pour mettre lin aux difficultés relatives à la possession de la vicomte de Limoges'*'. Guillaume joua aussi un rôle actif dans l'enquête relative à certaines accusations portées contre Raoul de Pereaus; ce conseiller du roi était en butte à de conti- nuelles attaques contre lesquelles Jean XXII chercha en vain à le défendre'^*.
Au commencement de mai i3i8, diverses mesures, fort étranges, prises par Jean XXII contribuent à nous faire sentir le crédit dont jouit Guillaume, tout à la fois auprès du pape et auprès du roi. 11 s'agit de dispenses de mariage demandées par Philippe le Long, qui veut unir sa fdle Jeanne à Eudes, duc de Bourgogne, et sa nièce Jeanne, fdle de Louis X, à Philippe, fils du comte d'Evreux : dispenses de parenté et aussi dispenses d'âge, car la fille de Louis X n'a pas encore sept ans
''' L'affaire dont ii est question nous reporte qui aura bientôt sa notice dans notre ouvrage, à l'aller et non au retour des commissaires, ''' Beugnol, Otini.t. III, a* partie, p. 1273-
car le sire de SuUi ne revint pas avec les 1375, n° liv; Boutaric, Actes du Parlement de
évoques de Laon et de Mende (Coulon, Pan'j, t. II, p. a44, n° 544o. n° 5a5). '*' Coulon, n° 374, note a. Cf. GaWia c/irù(..
*'' Ce professeur n'était autre que Jesselin de t. I . col. 97. Cassagne (His. litt. de la Fr. , t. XXXIV. p. 5 1 8). ^ Coulon , n" 554. Cf. n° 7a , note 1 .
38 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
et le fils du comte d'Evreux n'a pas quatorze ans accomplis. Cette dispense d'âge embarrasse cruellement le souverain pontife, qui tient à obliger son ami et allié le roi de France, mais auquel une commis- sion de cardinaux, de théologiens et de canonistes a donné sur cette question un avis nettement défavorable: pareille dispense serait con- traire au droit naturel. Que faire .«^ Vraisemblablement le souvenir de Philippe le Bel n'est pas étranger au désir très vif qu'exprime Jean XXII de complaire au fds du redoutable adversaire de la pa- pauté.
Le pape imagine donc, ou on imagine pour lui, une très curieuse combinaison : deux lettres pontificales sont expédiées, qui toutes deux accordent la dispense de parenté; en Tune des deux lettres il est ex- pliqué que cette dispense est accordée en vue de contracter mariage en âge de puberté; sur ce point l'autre lettre garde le silence. Permis- sion est donnée au roi de se servir de l'exemplaire des lettres ponti- ficales qui lui conviendra le mieux. En même temps, le pape donne pouvoir à l'archevêque de Rouen, à l'évêque de Laon et à l'évêque de Mende, ou à l'archevêque assisté d'un des deux évèques, d'accorder toutes les dispenses qui leur paraîtront compatibles avec ce qui est licite au pape et sied à sa dignité'*'. 11 était vraisemblable que le roi choisirait la lettre pontificale où il n'était question que de la parenté et n'était pas fait allusion à l'âge; pour cette dispense d'âge il devait utiliser les pouvoirs généraux donnés aux trois prélats. Faut-il sup- poser que, par ce procédé, le pape estimait libérer sa conscience et charger celle des trois fondés de pouvoir du poids qui l'oppressai t.**
Que firent les trois prélats.^ Aucun texte ne fournit à cette question de réponse directe. Mais il nous paraît aujourd'hui vraisemblable que la décision des évêques vint opportunément compléter la lettre de dis- pense où il n'était pas dit un mot de l'âge '^*, car les deux mariages furent célébrés, ppr verba de prœsenti , le 1 8 juin 1 3 1 8 ''''.
Ces manœuvres di])lomatiques dans le domaine du droit naturel et de la conscience ajoutent des traits assez inattendus aux physio- nomies, d'apparence si énergique, des auteurs delà bulle Ëxsecrabilis
'"' Coulon , n" 576, 576, 577 et 579. plu» minulieuse de la situation nous ont fait
'*' Nous exprimions l'opinion contraire, dans changer d'avis. YHtst. lin. de la Fr.. t. XXXIV, p. i3i. L'exa- <'' Cf. Lehugeur, ouvr. cit.-, p. lo'i; Hisl.
men plus attentif de» documents et l'analyse litt. de la Fr., t. XXXIV, p. iSg.
ÉVÈQUE DE MENDE. — SA VIE. 39
el (lu traité De modo celehrandi concdii. Ils sont l'un et l'autre cuirassés de fer. Mais, sous ce fer, que de mollesse, que de souplesse, parfois que de duplicité! À qui la lit tout entière, la bulle Exsecrahdis elle-ménie trahit déjà cette faiblesse de caractère''*. Quant à l'auteur du De mudo celehrandi concdii, ce pur chrétien des premiers siècles et des grands conciles œcuméniques, il oublie trop facilement certains préceptes de morale chrétienne et même de morale naturelle. Aussi bien, les trois évêques, auxquels le souverain pontile abandonnait tacitement le soin de résoudre ce difficile problème de la dispense d'âge, purent facile- ment découvrir dans les Décrétales de Grégoire IX un texte sauveur'"^'. Pendant les premières années du pontifical de Jean XXII, jusqu'en mai i3i8 inclusivement, les indices de rapports excellents entre le souverain pontife et Guillaume Durant abondent. En mars i3i8, la faveur dont jouit l'évêque est attestée par de nombreuses concessions de ])rivilèges pour lui-même, el de bénéfices accordés, sur son inter- vention*^', à ses parents et protégés*'', (l'est le résultat presque nécessaire de la situation que le roi et le pape ont faite à notre prélat. Mais nous touchons à des temps moins tranquilles. Cette phase nouvelle de la carrière de Guillaume nous ramènera, pour êlre parfaitement enten- due et comprise, et au pariage et au concile de Vienne.
Béraud VII de Mercœur, le plus opulent seigneur d'Auvergne, ne relevait pour son château de Mercœur que de Dieu. 11 avait de nom- breuses et belles possessions dans plusieurs autres provinces, en Bour- bonnais , en Champagne , en Bourgogne, en Franche-Comté , en Lyon- nais, en Forez, en Velay, en Rouergue et en Gévaudan, sans parler de ses hôtels de Paris et de Lyon. Il fut, à dater de i3o4 environ, connétable de Champagne. C'était un féodal actif et agité. Les affaires de Gévaudan tiennent dans sa vie une place considérahle. Il avait, en eifet, dans ce pays de grands intérêts : une partie de la vicomte de
'"' Cf. Hist. lilt. de la Fr., t. XXXIV, laume Durant dans sa mission auprès du saint-
p. iSa. siège.
''• \\\ u, Detlcsponsalioiie, ^. "' MoUat, n°' 6532 à 6536. Nous rele-
''* MoUat, n°' 6524 à 6537, 6552, 66o5, vons parmi ces lettres pontificales une nou-
66i2, 66i3 et 66i5. Il faut ajouter que le velle licence de tester (n" 6533). En mai i3i8,
registre des lettres communes de Jean XXII nous voyons encore une mission , fort délicate ,
atteste que des faveurs analogues ont été accor- confiée par le pape à Guillaume et à d'autres
dées à la même époque aux collègues de Guil- évêques (Coulon, n"* b-jb à 877 et 579).
40 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
Gévaudan , dite de Grèzes, près de Marvejols, plusieurs chàteHenies et domaines iui appartenaient.
Au temps de Guillaume Durant, les plus importants seigneurs du pays de Marvejols étaient le roi et Béraud de Mercœiir. Mais qui était en Gévaudan le suzerain de Béraud, le roi ou l'évéque? Long dé- bat à ce sujet, on l'a vu plus haut, entre les deux puissances : débat non seulement à l'endroit de Béraud de Mercœur, mais aussi à l'en- droit de plusieurs autres féodaux. C'est aux dépens de celte noblesse avide d'indépendance que fut conclu le pariage de iSoy.
Aux griefs que les gentilshommes invoquaient en commun contre l'évéque de Mende, Béraud ajoutait un grief spécial : il avait, depuis un certain temps, introduit la coutume d'Auvergne dans les terri- toires possédés en Gévaudan par la maison de Mercœur'*'; or la cour commune du roi et de l'évéque, dont le rôle en Gévaudan était consacré par le pariage'''', voulait bannir la coutume d'Auvergne et prétendait que les terres de Mercœur devaient abandonner cette coutume et être régies par le droit romain. La contestation fut ter- minée comme l'entendait la cour commune. Cette question et quel- ques autres furent réglées par une transaction conclue dans le châ- teau de Saint-Cirgues, près de Brioude, le '26 septembre i3i2, sous réserve de l'approbation royale. Philippe le Bel approuva cet accord par lettres-patentes, datées de Paris, au mois d'août i3i4'^'. La paix ainsi établie entre les deux adversaires semblait si solide que Béraud de Mercœur crut pouvoir faire de l'évéque un de ses exécuteurs testa- mentaires, lorsque, le 26 mai i3i4, jour de la Pentecôte, il rédigea son testament'*'. Peut-être cependant les vieux ressentiments sont-ils seulement endormis jusqu'au jour où des circonstances favorables l«s viendront réveiller. Ces circonstances se seraient-elles produites lors d'un séjour prolongé de Béraud de Mercœur à la cour d'Avignon, sous le pontificat de Jean XXll? Nous arrivons à ces événements.
Béraud, qui vraisemblablement avait eu certaines relations avec
''' Cf. Marcpllin Boudet, Béraad VII de <'' Aich. nat., JJ 5o, n" /jS: Roucaute et
Mercœur, dam Revue d'Auver<ine(\^oi)^t. XXI, Sache, Lettres de Philippe le Bel relatives au
p. 3, 110, ii5, 118, 120 et 265. pays de Gévaudan, p. i54, n" lxxxi, p. i6l
''' Cf. le texte du pariage dans G. de Burdin, et n° lxxxvi, p. aia; Chassaing, Spicilcgiuin
Documents historiques sur la province de Gévau- Brivatcnse , p. 380, n° io4; 0. Vaissete, Hisl.
dan, t. 1, p. 368-369 ; dans Roucaute et Saclié, de Languedoc, t. 1\, p. 296, note 1. Lettres de Philippe le Bel rchttives au pays de '*' Baluze, Hist. de la maison d' Auvergne ,
Gévaudan, p. i8Â- *• IL P- ^^1- Cf. GaUia christ., t. I, col. 96.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. fa
Jacques Duèse, offrit, dit-on, à celui-ci, devenu Jean XXII, sa per- sonne et son épée, lorsqu'au lendemain du couronnement le pape crut sa vie menacée par un groupe hostile de conspirateurs"' Le souverain pontife remercia Béraud et lui voua dès lors, en dépit de divers incidents fâcheux, une vive sympathie. Sympathie solide et durable, car, en i3i8, à l'heure où Philippe le Long, offensé par Beraud de Mercœur, procédait contre celui-ci les armes à la main Béraud trouva un refuge à la cour d'Avignon'^). Le paj)e s'intéressa vivement a son protégé et écrivit au roi de France lettres sur lettres en laveur de Mercœur.
Vers le même temps, la cour d'Avignon était saisie de plaintes nombreuses contre Guillaume Durant. Celui-ci dut, en effet, en i3i8, faire tête à un assaut d'accusations: accusations en Gévaudan accusations en Avignon. En Gévaudan, c'est le baile de Marve- jois, probablement un vieux titulaire, mi-parti officier royal mi- parti officier des de Peyre, magistrat amoindri depuis la cr^tion do la cour commune instituée par le traité de pariage, qui fait courir, assure-t-on, de très méchants bruits sur le compte de l'évéque • en présence de personnes honorables, il a dit, entre autres choses que le prélat avait à son service ou entretenait des brigands et des assassins • qu il avait a force de pressurer le peuple, réduit à la prostitution une centaine de femmes f^). Ce médisant baile, qui avait proféré bien d'au- tres injures, fut cité à comparaître par-devant le lieutenant du séné- clial de Beaucaire. 11 fit piteuse mine en justice, niant les propos qui lui étaient attribués , se soumettant d'ailleurs humblement à tous ordirs et injonctions qu'il plairait à l'évéque de lui dicter^*'. De ces hostilités gévaudanaises nous ne savons directement nulb; autre chose. Mais nous ne devons pas oublier qu'en 1 3 1 8 les mécontents, ligueurs de la veille s agitaient encore en France sur bien des points, notamment en Au- vergne. En Gévaudan, l'heure dut sembler favorable à tous ceux qui en i3o4, puis en i3o8-i3o9, s'étaient levés contre l'évéque. On sent que le baiIe de Marvejols n'est pas une voix isolée; il représente tout
de l /t:;':'xXXW p '/os'''- '' ''"• '"'• • I^^J."'-.'^'--' !^'^- <lo.i„u,. episco,,u,„
m M II n j'. % r o ^ "fecisse in diocesi Mimalensi..
Marcelhn Boudet p. ^S-5,j6. <») Arch. do la Lozère. G 783. Sur les difli-
) Nous v.,ons celle phrase : . ac eliam cen- cultes intérieures que trouvait à ce mom t
.IZnTZT '''' '" P'-" """f "•"• '''^^^'J"« ^'''- -" dio--. voir auss G .sT •rafone exact.onum quas dictus 800, d'après VInvenlaire. t. J, p 3, et i^S
HIST. LITTER. XXXV.
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42 GUILLAUME DURANT LR JEUNE,
mi courant hostile. Peut-être le lecteur n'a-t-il pas oublié qu'en i.îo8 le lieutenant du baile royal était, en ce même Marvejols, chef (r(''meute''*. La vieille jui,^erie de cette ville était certainement un centre d'opposition au paiiage.
Du Gévaudan nous nous transportons en Avignon où, comme on l'a vu, s'est rélugié ])rès du pape le plus important des 0j)posants de i3o8, Béraud de Mercœur. Des accusations contre l'évêque sont arrivées jusqu'au souverain pontife. Mais Guillaume, évidemment inquiet, a saisi de l'alTaire le roi et la reine de France : il a demandé et obtenu leur intervention. Le roi, considérant comme un crime de lèse-majesté qu'on accusât ainsi un de ses conseillers, l'a pris de très haut et a demandé des explications. Très noblement, Jean XXII jus- tifie sa conduite. Une coriespondance s'engage alors entre le roi et la reine, d'une part, le pape, d'autre part; mais seules les lettres du pape nous sont parvenues; nous les résumerons brièvement. Les plaintes contre Guillaume datent déjà d'assez loin; elles remontent à plus de huit mois, écrit le pape, le i3 décembre i3i8'-'. Au début, on s'occupa de l'alîaire en consistoire secret. Mais la divulgation des faits allégués lut telle qu'il devint impossible de continuer cette infor- mation occulte; une procédure en règle s'imposait. Les témoins en- tendus sont au-dessus de toute suspicion : ce sont des cardinaux, des évèepies, des abbés, des religieux, notamment des Mineurs et des Bé- nédictins, des chanoines séculiers et des curés, enfin des laïques en petit nombre, mais nobles, jmiici, sed nobdes'^K On sait, en effet, qu'en <jévaudan les principaux adversaires de Guillaume étaient des gen- tilshommes, sur lesquels pesait lourdement le pariage de iSoy. L'enquête est conduite par deux cardinaux, les ]irocureurs de (îuil- laume ont communication de toutes les accusations; en un mot la liberté de la défense est assurée **'.
Mais quel est le principal instigateur de ce procès intenté en cour dd Rome à un conseiller du roi, qui jouit de toute la confiance de son maître.^ Ceux qui connaissent l'état des relations de Guillaume et de Béraud de Mercœur, et qui, déplus, savent Béraud en cour d'Avignon, où il est le protégé et comme l'ami du pontife, nomment le seigneur de
''' Arrh. de la Lozère , itiW. Cf. ci-dessus, p. a5. — '*' Coulon, n" 776 et 778. Le 10 avril iSig, le pape dit que les plaintes reçues remontent à plus d'un an (n° 85o). — *'' Coulon, n°' 776 et 84q. — '*' Coulon, n" 85o.
KVÈQUE DE MENDE. — SA \IE. 'i3
Meicœur. Philippe adopte celte opinion , très fermement , semble-t-il , et (lési|^ne au souverain pontife Béraud de Mercœur comme le calomnia- teur (le févêque. Le pape proteste : il n'a point agi ad mstantiam uohiUs vin Beramh^^\ Nous croyons Jean XXII sur parole, sans rejeter abso- lument pour cela les conjectures de ceux qui estiment que l'inlassable Mercœur s'efforçait à noircir l'auteur du pariagc de iSoy. C'est chose très vraisemblable*^', c'est aussi chose incertaine. Quant au pape, il n'a pas besoin des incitations de ce grand seigneur pour entamer le procès de l'évêque; il est régulièrement saisi de l'affaire par d'auties plaignants, moins compromettants, car ils ne sont point en lutte avec le puissant roi de France. Il a, d'ailleurs, comme pontife suprême, contre Guillaume Durant des griefs autrement graves que ces accu- sations du dehors. Jean XXII nomme une seule partie plaignante, l'église de Rodez, à laquelle Guillaume, en qualité d'arbitre, avait, en iSiy, imposé un pariage et qui, sans nul doute, se disait lésée '^'. Suivant toute vraisemblance, nous pouvons ajouter Astorg de Peyre, qui, lui aussi, était en instance à lîome*'**. Mais que pèsent les griefs de l'église de Rodez, de la famille de Peyre '^' et de tous ceux qui se disent lésés par le pariage, en regard de la conduite de Guillaume au concile de Vienne, en regard du libelle qu'il écrivit contre Rome et qu'il eut l'audace d'offrir à Clément V [cum linmililate apparenti) ? Il poursuit , d'ailleurs, contre l'évêque de Rome cette guerre, commencée au concile''''. Tels sont, quant au procès de Guillaume, les traits que nous fournissent les lettres de Jean XXII*''.
11 semble que le roi de France réussit finalement à éteindre l'affaire. Succès diplomatique, bien digne du fds et successeur de celui qui, après avoir outragé Roniface vivant, parvint à faire ouvrir contre Boniface mort le grand procès d'hérésie. À la vérité, un autre prince pourrait bien, comme on le verra, avoir contribué lui
'"' Coulon, n°" 776 et 778. — Rien dans ode chose qui le touchoit, nul de ses anemis
les lettres citées par M. Haller {Papsttum iind «ni fust appelez ne oïzi.
kirchcnreform. Berlin, 1 goS , t. 1 , p. 58) ne ''' Coulon, n° 85o.
permet de penser que Guillaume Durant ait <*' Arch. de la Lozère, G 892, art. xill.
été emprisonné à Avignon. l'' Sur la lutte, eni3i8, de Richard de Pe^re
''' Marcellin Boudet, dans Revue d'Auveryne et ses amis contre Guillaume, voir Arch.de la
1906), t. XXII, p. i63. — M. Boudet, en dé- Lozère,G895, d'aprèsl7Huen<aire, t. I,p. 190
crivant une comparution solennelle de Béraud <'' Coulon, n° 849-
devant le roi en iSig, signale ce passage de *'' Voir encore les mentions dans Coulon,
sa déclaration: • suppliant que, au Conseil, n"" 8G1, 914 et 915.
6
44 GUlIXAUiVIE DURANT LE JEUNE,
aussi à cet heureux résultat. Si nous ne nous abusons, cette procédure en cour de Rome avait, à i'origine, profondément ému l'évéque de Mende, qui voyait renaître contre lui une coalition redoutable. Il semble avoir ébauché un plan de conduite qui rappelle celui qu'il avait très heureusement réalisé en i3o5 et qui consistait à fuir la tète haute. En i3o5, Guillaume, ne povivant rester à Mende, s'était fait donner une mission en Italie, mission des plus honorables. Vers i 3 i 8, il songea à se faire attribuer une mission ou légation pour la croi- sade projetée [JegaUo uhramarnu passafiii), probablement une légation pacifique et religieuse, qui correspondrait assez bien à certaines vues émises par lui-même dans un mémoire dont il sera question ci- après; mais il abandonna très vite ce projet. On semble lui avoir prêté aussi, vers ce temps, le désir d'obtenir le patriarcliat de Jéru- salem, ambition irréalisable, car le patriarche n'avait point passe de vie à trépas'''. Guillaume finira douze ans plus tard sur ce cbemin de l'Orient latin qui déjà l'attire. Il ne sera janiais patriarche de Jérusalem; mais il fera ce grand et dernier voyag(> en compagnie du patriarche.
Béraud de Mercœur, amoindri et humilié en Gévaudan par (îuil- laume Durant, n'était point pourtant du nombre de ces conspira- teurs qui, en i3o4, avaient rêvé d'écarter le pariage, déjcà menaçant, en assassinant l'évéque, et auxquels ce dernier avait voué solennel- lement, le 23 octobre i3o4, une haine sans merci. Par contre, la famille de Peyre, à laquelle nous arrivons, était, on s'en souvient, lame de ce complot. Les de Peyre et leurs amis étaient de riches seigneurs'-', en sorte que cette haine vigoureuse, accompagnée d'une déclaration de commise ou confiscation, se manifestait par une tentative de mainmise sur un grand nombre de domaines ou fiefs du (lévaudan ''*. Quelle passion l'emporta ce jour-là en l'àme agitée et complexe de Guillaume, aussi fougueux qu'avisé, la haine ou la convoitise? Nous pouvons suivre, au travers des pièces d'ar- chives jKirvenues jusqu'à nous, non certes l'accomplissement inté- gral du serment prêté par l'évéque, mais de persévérants elforts pour
'■' Coulon, n° 76a. t. XXVII, a' partie, p. i85, 186 el 197; Arch.
''' Voir, à ce sujet, B. P[runières], L'an- de la Lozère, H i46, d'après V Inventaire,
tienne haronnie de Peyre , àam Bulletin de la p.6&.
Société' d'agricnltare , ...de la Lozère (1866], ''" B. P[runièresl. l'iit/., p. 160.
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 45
y parvenir. Cette enquête, qui nous conduira jusqu'aux années i328- 1 3 29, va faire passer de nouveau sous nos yeux les noms connus du prieur Aldebert, d'Astor<ç et de Richard de Peyre. C'est au regard (lu seul Aldebert que le complot de i3o4 fournit une base avouée d'accusation. Contre Astorg et Richard il fallut trouver d'autres griels. Guillaume en rechercha avec obstination; il avait d'ailleurs, dans sa déclaration de i3o4, prévu la nécessité de ces détours'"'.'
Aldebert se présente le premier dans l'ordre chronologique des do- cuments. Il ne semble pas, nous l'avons dit plus haut, que ce prieur d'Isi^agnac, principal représentant de la branche cadette des de Peyre, ait été nommé par l'évèque lors du serment solennel du 2 3 octobre i3o4. Mais ni le prieuré, ni Aldebert ne furent un moment oubliés. Le |)ariage d'ispagnac devait être, comme on l'a vu, adroitement annihilé par le grand pariage de i3o7. Quant à Aldebert lui-même, les premiers soins du prélat, avant son départ pour l'Italie, en août i3o5, lui furent consacrés. D'une part, Guillaume dénonça Aldebert au roi, avec les autres conspirateurs, et Philippe donna à tous ses olhciers de Reaucaire, Rodez, Auvergne et Velay l'ordre de livrer à l'évèque, s'ils en étaient requis par le prélat, Aldebert et tous les clercs qui tombe- raient entre leurs mains (lettre du roi, du 24 juin i3o5)'''. D'autre part, écrivant, le 26 mars i3o5, à M*" Etienne de Suisi, prêtre, archidiacre de Rruges, lequel devait peu après être créé cardinal (i5 décembre i3o5)'^\ Guillaume déclarait le prieuré d'ispagnac vacant en droit, bien qu'occupé de fait, mais indûment, par Aldebert, et l'offrait audit M" Etienne, assez puissant j)our y faire régner le bon ordre et la paix'*'. Très vite, en effet, le cardinal Etienne devint titulaire du prieuré : une reconnaissance féodale concernant un terroir des environs de la ville de Mende est reçue par son procureur en i3o7'^'. A la vérité, cet acte isolé ne suffirait pas à prouver, une prise de possession sérieuse, complète et définitive; mais nous avons, à cet égard, d'autres indications probantes'®'. Poli- tique habile, Guillaume Durant a voulu se débarrasser d'un ennemi
'"' 0 Ratione conspirationis facte..., vel '*' Arch. de la Lozère, II l4i-
< quacumqiie alia causa > (Arch. de la Lozère , '*' Ibid.. H i46, d'après l'Inventaire,
G i55, loi. 121 v°). p. 54-
''' Roucaule et Sache, p. 43, n° xxii. ''' Cf. André, Ispagnac et son prieuré, notice
''' Eubel, Hierarchia catliolica medii œvi, historique, dans Annuaire. .. de la Lozère, 18"] ^
3° édil. (1913), p. 4i. (43' année), partie hist., p. 1 i-ia.
46 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
dangereux, qu'il avait sur ses terres et qui ne pouvait tolérer les atteintes portées à la situation et à l'autorité du prieuré d'ispagnac, patrimoine quasi familial; il a voulu lui substituer un ami très haut placé, abondamment pourvu par ailleurs, vivant au loin, et dont il a su faire, par le don d'Ispagnac, son obligé. Suivant toute vrai- semblance, le cardinal Etienne s'inquiétera fort peu des affaires du prieuré et de la splendeur passée d'un bénéfice dont il ne sentira point la déchéance.
La lutte contre les divers membres de la famille de Peyre, annoncée en i3o4 par l'évêque de Mende, n'eut point, nous favons laissé en- tendre, un caractère uniforme. Guillaume Durant prit conseil des circonstances. Au surplus, ce fut une guerre longue et opiniâtre, et qui reste pour nous enveloppée de certaines obscurités. On plaida vn Parlement'" et jusqu'en cour de Rome'^*.
Les débats avec la branche aînée, à laquelle nous arrivons, se rat- tachent originairement àl'alfaire du pariage de i3o7,si dommageable pour cette branche, au regard notamment de ses droits à Marvejols'^'. Son pariage avec le roi était étouffé à Marvcjols, comme celui des ca- dets fêtait à Ispagnac. Mais le grief qui joua, en fait, le principal rùle est assurément fort inattendu : il s'agit de la non-exécution, ou plutôt de fexécution incomplète, du testament d'Astorg de Peyre, daté de l'an i3o2. C'est ce testament qui fournit à févêque foccasion d'une grande lutte. Astorg avait fait divers legs et avait muni l'expression de ses volontés dernières de cette clause pénale : au cas où ces legs ne seraient pas délivrés, 5oo marcs d'argent devront être versés au roi de France'*'. Or les legs ne furent pas, assura-t-on, entièrement ac- quittés. Les Astorg se trouvaient donc astreints au payement d'une grosse amende. C'est cette seconde affaire qui mit le plus sérieuse- ment aux prises les deux adversaires, Astorg et Guillaume. Guillaume pouvait ici entrer en scène, car, depuis la conclusion du pariage, les intérêts du roi et ceux de févêque se trouvaient confondus. Telle était du moins la prétention de févêque de Mende.
Pour résumer brièvement ces longs débats, nous appellerons le testateur Astorg \" et son successeur immédiat Astorg II. Ce suc-
'■' Rouraute et Sache, p. i3o, n° lxviii. — ''' Arch. de la Lozère, G 892. — ''* Astorg provoqua lui-même ce débat judiciaire. — '*' Arch. de la Lozère, G 891 (voir notamment le petit résumé final du notaire du roi) et G 894.
EVEQLE DE MENDE. — SA VIE. 47
cesseur n'ayant pas exécuté le testament clans le délai qui lui avait été imparti, les commissaires du roi le condamnèrentàune amende, non plus de 5oo marcs, mais de io,5oo marcs d'argent au profit de Phi- Ii|)pe le Long et de l'évêque de Mende^'l L'exécution de cette sentence fut cruelle aux de Peyre : plusieurs châteaux et villages appartenant à Astorg 111, successeur d'Astorg II, tombèrent aux mains du roi et de févc(pie. Alors la maison de Peyre put croire arrivée fheure de la commise générale déclarée par Guillaume en i3o4. Le chef de la famille, en détresse, implora, suppliant et pressant, la pitié du roi'-', 11 fui entendu; le Parlement, saisi de l'alfaire. se prononça contre l'évêque, et le procureur du roi annula tout ce qui avait été fait depuis la mort d'Astorg t\ condamna l'évêque à restituer les revenus touchés de|)uis sept ansel à verser 2,000 livres tournois à litre de dommages- intérêts, du chef des détériorations subies par les immeubles saisis'^'. Contre cet arrêt Guillaume s'éleva vivement, le roi ne pouvant, disail-il, faire 1 émise d'une amende qui, en vertu du pariage, doit profiter également au roi et à l'évêque''''.
Sur ce, Charles le Bel intervint à titre de paciilcateur : désirant, proclama-t-il, ramènera la concorde les parties adverses et éviter les scandales que pouvaient faire naître rancœurs et discords, il avait Fait savoir à Guillaume el à Astorg (pi'il souhaitait être librement choisi par eux comme arbitre du dillérend, proposition que le sire de Peyre et l'évêque avaient acceptée. Le roi chargea donc le chan- celier Jean Cerchemont de statuer en son nom; celui-ci fit remise à Astorg de toute j)eine pécuniaire encourue au profit de la Couronne, el le roi confirma cette sentence (juillet iSaG)'^'. Au demeurant, dira-t-on, si tous les biens d'Astorg de Peyre ne tombèrent pas en commise, comme l'eût voulu Guillaume en i3o4, il en saisit du moins et en garda une ])artie; en effet, la sentence arbitrale de Charles IV
<'' Arch. do la Lo/.ère, G 89^; Arch. nat., voir Tessereau, Histoire chronologique de la
JJ 64, loi. i5o, n" 3o2. grande Chancellerie (Paris, 1710), t. I, p. i 3,
'I' Arch. de la Lozère, G 894. où ce grand olTicier est appelé Jean de Cer-
''' Cf. Arch.nat., X'-ô, fol. 4i8r°el v'(ana- cheniont; dans G 8()4, nous lisons . Johannes
lyse dans Boularic, Actes du Parlement , t. Il, Cerchemont». M. L. Perrichet {La grande
p. 599, n" 7G90). Chancellerie de France, des origines à 1328. Paris,
I*' Arch. de la Lozère, G 893 (nombreux 1913, p. 535) adopte la forme de Cerchemont;
mémoires en faveur de l'evèque). la particule n'est pas justiliée, car Cherche-
''' Arch. de la Lozère, G 894; Arch. nat., mont est un sobriquet et non pas un nom de
JJ 64, fol i5o, n° 3o2. Sur Jean Cerchemont, lieu.
48 GUILLAUME DURANT LK JEUNE,
comporte annulation de l'arrêt du Parlement; ce que Guillaume dé- tient reste donc de bonne prise. Le roi ne rend que sa part du butin ; il ne dessaisit pas l'évêque et celui-ci n'est condamné ni à restitution ni à dommages-intérêts. C'est du moins ce que nous supposons; mais cette interprétation n'est-elle point trop favorable à l'évêque? Le texte est à double entente, et prudemment nous nous garderons ici de rien affirmer.
Nous arrivons à Riciiard de Peyre, nommé par Guillaume en i3o4 et jamais oublié. Sur l'action énergique exercée par l'évêque contre ce Richard de Peyre nous ne possédons que des renseignements frag- mentaires. Nous les résumerons suivant l'ordre chronologique. C'est en i3i2 que la lutte se dessine clairement à nos yeux. Gomment s'ouvre-t-elle.-^ Par une gigantesque accusation de faux, faux aussi nombreux qu'audacieux, qui auraient été fabriqués, à finstigation de Richard et de son fils Richardon, et à leur profit, au détriment de l'évêque. L'acte qui nous révèle ce scandale ajoute les détails les plus minutieux. Guillaume affectant de se montrer très miséricordieux, l'affaire se termine ou semble se terminer en i3i3 (27 avril) par la promesse d'une grosse indemnité (800 livres tournois) , qui sera versée par Richard et son fils'"'. N'est-ce pas au cours de cette affaire que Richard de Peyre fut incarcéré, comme on l'a vu, au Chàtelet de Paris.^ Il fut mis en liberté sous caution en cette même année i3i3 (23 avril) *^', mise en liberté qui ressemble à un ajournement indé- fini. Des crimes de faux nous n'entendons plus parler; le silence a été acheté 800 livres.
Cependant l'évêque n'oubliait pas ses ennemis, et les ennemis de l'évêque n'oubliaient ])as l'évêque. Richard fut de nouveau indirecte- ment mis en cause : son fils, Richardon , avait, prétendait-on , en compa- gnie de complices, maltraité plusieurs officiers ou serviteurs dupvélat. Une lettre du roi, de l'année i3i8, est relative à cette affaire'^'. Peu après le père et le fils furent accusés f un et Tautre nominativement''*'. N'est-ce point le même incident que vise, en termes un peu différents,
'"' Arcli. de la Lozère , G 41)3, n°' anciens 4 porte Tancien n° 2g. L'inventaire de la série G ,
et 36. t. I, p. 190, semble attribuer ce méfait a Ri-
''' Arch. nat., X''i (analyse dans Boutaric, cliard liii-mênip ; il s'agit, dans celte première
l. 1 1 , |). 1 09, n' 4 1 3 1 ). pièce , de Richardon , iils de Richard.
*'' Arch. de la Lozère, G 896, pièce qui '*' Ihid. , pièce qui porte l'ancien n° 106.
ÉVÉQUE DE MENDE. — SA VIE. 49
un arrêt du Parlement de i^ib? Dans ce dernier document il n'est plus question de serviteurs maltraités, mais vaguement de propos in- jurieux et ditTamatoires, de félonies diverses. Quant au but pratique que poursuit révèque,il reste en parfaite harmonie avec le serment de i3o4 : il s'agit toujours de confiscation; le prélat voudrait confis- quer la moitié du château de Servières, appartenant à Richard, la part de propriété du même seigneur dans le château de Rochebelot, le château de Ghanac et autres domaines. L'affaire a été portée devant la cour commune du Gévaudan, qui a été récusée; mais, cette récusation n'ayant pas été admise par le juge commun*", Richard a interjeté appel au Parlement. Celui-ci, par arrêt du i5 fé- vrier iSaô, décida que des commissaires enquêteurs seraient envoyés en Gévaudan'^'.
Sur ce premier débat s'en greffait un second : un certain emplace- ment [platea vocata de Terjiila) faisait-il ou non partie de la moitié du château de Servières ajq^artenant à Ricfiard.!^ Là dessus contestations, l^roduction de témoins, qu'on accusa d'avoir été subornés par Richar- don. Sur ces entrefaites, Richardon vint à mourir; à la suite de cette moit, le Parlement décida, par un nouvel arrêt daté du même jour, qu'il ne serait tenu aucun compte de l'enquête relative à la subor- nation de témoins '■*'.
Mais nous ne suivrons pas dans toutes leurs ramifications ces inter- minables procédures, qui se compliquent sans cesse d'incidents nou- veaux. Nous devons pourtant relever un jugement de la cour com- mune du Gévaudan condamnant Richard de Peyre à une amende de 600 livres tournois; ce jugement fut suivi de recours et d'appels singulièrement midtipliés. Nos renseignements prennent fin avec un troisième arrêt du Parlement de Paris, du i5 février iS'iô, qui or- donn'fe lui aussi l'envoi sur les lieux de commissaires désignés par la cour; ceux-ci reprendront fétude du procès à partir d'une certaine
''' La récusation admise entraînait tout sim- de Beaucaire ; autant vaut se présenter tout de
plement radjonction d'un prudhomme désigné suite devant le Parlement,
parle sénéchal de Beaucaire et par Tévèque '*' Arch. nat. , .\.'°5, fol. 446 r° (analyse
(ci-dessus, p. aa). Il est probable que les deux dans BouLiric, t. II, p. Gi i, n* 7787). — On
parties sont d'accord pour éviter cette compli- peut voir des détails curieux sur un des inci-
cation, qui retarderait foule la procédure; car dents dans G 896 (anc. 197) des Arch. de la
l'arrêt de la cour, quel qu'il soit , serait porté de- Lozère.
vant le juge d'appeaux, et du juge d'appeaux on ''' Arch. nat. , X'"5, fol. 446 r° et v° (analyse
irait soit en Parlement, soit devant le sénéchal dans Boutaric, t. II , p. 61 1, n° 7788).
HIST. LITTÉR. XXXV. 7
50 GUILLAUME DURANT LE JEUNE,
phase, précisée dans l'arrêt, et transmettront à la cour le résultat de leur enquête'". Richard de Peyre acquitta-t-il finalement ces 600 livres d'amende'^'? Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question.
Une affaire plus intéressante, où la personnalité de Guillaume va se dégager sous nos yeux très nettement, appartient, elle aussi, à l'histoire des luttes entre Guillaume et Richard de Peyre, si toutefois nous sai- sissons le sens vrai d'une phrase de Guillaume Durant, aussi vague qu'énergique. Il nous laut auparavant dire ici quelques mots d'une institution féodale, fort curieuse, qui existait en Gévaudan. Le château de la Garde-Guérin'^' commandait, sur les confins du Gévaudan et du Vi\arais, une route très fréquentée, d'origine romaine, la célèbre •1 Régourdane »,'''' qui reliait Nîmes à l'Auvergne. Les gentilhommes auxquels appartenait en commun cette seigneurie — on les nom- mait les II pariers i> de la Garde-Guérin, — constituaient dans ces r'gions montagneuses, favorables aux entreprises des brigands, une sorte.de milice policière, chargée d'assurer le bon ordre. Ils se partageaient les revenus de la seigneurie ; le « péage » et le «guidage», droits destinés théoriquement à assurer la vial)ilité et la sûreté de la route, formaient le plus clair de ces revenus ''. Les jiareries étaient aliénables, ou plutôt partiellement aliénables; l'acquéreur, en ellet, ne jouissait que d'une fraction des revenus communs, notamment du péage, le sur|)lus des revenus faisant retoui" à la communauté. La fraction ainsi aliénée était dite pareiie moVle'"'. La communauté des seigneurs pariers relevait de l'évèque de Mende '^'. Ses statuts étaient promulgués soit par l'évèque, soit par son délégué ou vicaire ; on possède ainsi les statuts de l'évêcpie Etienne de Brioude (1 2 38 et 1 i/jS), ceux de l'évèque Odllon de iMercœur (1260), enfin deux rédactions complètes et un texte
''' Aicli. nat. , X'" 5, fol. 4 '16 v° et !\\i r° '*' Voir J. Bédier, Les légendes éiiiqucs , 2' éd.
(anaiyso dans Boutaric, t. II, p. fil 1, 11° ■yyScj). (Paris, 1914), t. I,p. 368 l't suiv.
*'' Quant aux conPiscalions (le fiels, on verra '' Cli. Porée, Les staluts de la commiinaaté
plus loin (p. 53, note i)(jue, vers la lin de l'épi- des seigneurs parifis de la Gar<lr-Gnériii en Gé-
scopal de Guillaume, deux de Peyre, Richard vaudan , dans liibliothèque de l'Ecole des chtirivs
et Guibert, éiaient coseigneurs de Servières : (itjoy), t. I^WIII, p. 81-82. l'évèque n'avait pas réussi à confisquer la part '*' (]h. l'orée, p. iji-ga.
de Richard. '"* Vx, pour partie, du seigneur du Tournel
''' Comm. de Prevenihères , cant. de Ville- (Arch. de la Lozère, G 761, d'après i'Inven-
forl, arr. de Mende. taire, t. 1, p. 1C8).
ÉVRQUE DE MENDE. — SA VIE. 51
addilioniiel, qui sont du temps de Guillaume Durant. Ces trois der- nieis documents sont datés des années 1299, i3io et i3i3.
Quelques traits nouveaux et importants caractérisent les statuts de i3io : les consuls de la Garde-Guérin, chargés de gérer les revenus communs, seront désormais élus par l'assemblée des pariers, au lieu d'être désignés par les consuls sortants'''. Suivant une règle très an- cienne, tout parier qui voulait aliéner sa parerie devait tout d'abord l'olTiirà la communauté; l'aliénation ne pouvait avoir lieu qu'au cas où cette offre aurait été déclinée'-'; la règle est maintenue, mais le parier obtient pour cette transaction des facilités nouvelles. En effet, la parerie ne pouvait, avant Guillaume, être aliénée en faveur d'un autre parier; cette interdiction du cumul disparaît'^'. La parerie pourra être acquise, est-il dit dans les statuts de i3io'''', soit par un vilain, soit par un gentilhomme; les barons seuls sont exclus. Si on songe aux préoccupations dont devait s'inspirer Guillaume Durant en i3io, au lendemain de la conclusion du pariage, et en face des résistances qui se manifestaient parmi la noblesse, on sera induit à supposer que l'évêque, effrayé de ce soulèvement des esprits, souhaite l'allaiblissement de la Garde-Guérin, qui a fait cause commune avec la noblesse'*' et veut l'empêcher de se fortifier en s'agrégeant des hommes puissants.
Gef article fut modifié en i3i3; alors furent exclus, non seule- ment les barons, mais tous personnages plus nobles et plus puissants que les autres pariers, car ils pouvaient opprimer leurs associés; fut exclu également tout homme inhabile à porter les armes, enfin tout vilain '*''. Ces exclusions de 1 3 i3 ont un tout autre caractère que celles de i3io;cesont, cette fois, les pariers eux-mêmes qui re- cherchent l'égalité dans la communauté et redoutent d'absorbantes influences.
Les statuts ne mentionnent pas expressément, mais, suivant toute vraisemblance, supposent, au profit de l'évêque, un droit de retrait ou préemption''', qui d'ailleurs était au moyen âge le droit commun
"' Statuts de i3io, art. 7 (Ch. Porée, '*> Voir Roucaule et Sache, p. 2o4.
P- »3.Hj. (•> Voir les statuts de i3io, art. 5, avec les
'*' Statuts de i238, art. 9 (Ch. Porée, additions de i3i3 (Ch. Porée, p. laa et
p. io3). 126).
''' Ch. Porée, p. gS, gd, gg. <'' Ce droit de retrait nous semble visé , sans
'*' Statutsdei3io, art. 5(Ch.Porée,p. 122). d'ailleurs être exprimé, par ces mots des statuts
52 GUILLAUMIi DURANT LE JEUNE,
du suzerain. Les évêques de Mendn ne semblent pas avoir négligé ces placements en parts de la communauté de la Garde-Guérin : donations'*', retraits'^', achats '"^^ ont procuré à Guillaume lui-mémo pareries ou demi-pareries.
Un incident singulier survint en i3'i8. Deux ct)ntractants avaient, si Ton s'en tient à l'acte qu'ils produisirent, conclu un échange de pareries, acte qui n'ouvrait pas la voie au droit de retrait. Ils compa- rurent devant les représentants de l'évêque et furent amenés à con- fesser que l'acte aurait plutôt mérité le nom de vente. Sur quoi, les représentants de l'évêque voulurent exercer au prolit du prélat le droit de retrait. Mais les consuls de la Garde-Guérin s'opposèrent à cette prétention et soutinrent que le droit de retrait leur compé- tait avant tout à eux-mêmes. Us invoquaient le texte de leurs statuts, texte dont le sens, à nos yeux, est douteux et qu'il n'est peut- être pas impossible d'interpréter en faveur de la communauté des pariers,à laquelle le droit de retrait appartiendrait en première ligne, l'évêque ne venant qu'après la Garde-Guérin. Guillaume était alors à Paris, en son hôtel de la Calandre'*'. 11 fut saisi de l'affaire et lança une épître, adressée tout à la fois à ses vicaires généraux et aux consuls et pariers de la Garde-Guérin, épitre qui, certes, n'est pas l'œuvre d'un secrétaire. C'est qu'en effet l'affaire est particulièrement grave pour l'évêque, car le contrat concerne, en même temps que la parerie, le château de Servières, auquel une parerie ou une demi- parerie est attachée, château qui appartient pour partie à Richard de Pevre et que convoite Guillaume. Un certain Guibert de Peyre, parent de Richard, est coseigneur de Servières'^', ce qui, depuis longtemps, complique la guerre que se livrent sans relâche Richard et Guillaume.
Nous analyserons ici cette curieuse épître. Elle débute par un préambule philosophique, suivi d'une allusion probablement très claire pour tous ceux qui la lurent; c'est, à nos yeux, Richard de
de i3io, art. 5 : « Dicti domini episcopi et ejus ''' Arch. de la Lozère, G /48i.
« successoi-um jure salvo in omnibus ac per '*' \ oir ci-dessus, p. 9.
tomnin et retento» (texte publié par Ch. ''' Voir le récit d'une curieuse affaire relative
Porée, p. 133). au château de Servières et où Richard de Peyre
'"' Arch. de la Lozère, G 48o et 48i d'après et les gens de Guibert de Peyre jouent un rôle
l'Inventaire, t. I, p. 107. actif (Arch. nal. , X'' 5 , fol. 4-'>9 v°-459 r°; ana-
<'' Arch. de la Lozère, G 48o. iyse dans Boutaric, t. II, p. 6i5, n* 7828).
EVEQUE DE MENDE. — SA VIE. 53
Peyre qui y est visé en termes, comme on va le voir, singulièrement amors :
Lh sagesse supérieure, écrit levêque, a établi dans la société des degrés et des ordres distincts, afin que, par le respect des inférieurs pour les supérieurs, par l'amour et dilection des supérieurs pour les inférieurs, pût s'établir une véritable concorde. Cette diversité assure la régularité de chaque fonction. Aucun corps, en effet, ne subsisterait si cette ordonnance générale ne le maintenait, car des créatures toutes d'une seule et même qualité ne sauraient vivre, ne sauraient être régies et gouvernées. Cela est attesté par l'Ecriture. Certes, jusqu'ici, cette concorde dans la chanté, cette union dans un amour mutuel s'est maintenue inviolée entre nous et nos prédécesseurs, d'une part, et vous, nobles, consuls et pariers et vos aïeux, d'autre part. Cette union, à l'avenir, se maintiendra, le Seigneur aidant. Cependant, un ennemi, perturbateur de la paix, de la concorde, de la tranquillité et de lunité, fomenlateur de zizanie, a ménagé entre vous et nos vicaires un sujet de dissentiment, ainsi que me l'a expliqué tout au long et de vive voix noble G. de La (îarde, da- moiseau, votre comparier et consul"*; et cela par le moyen d'ime parerie que le noble damoiseau Roland de La Carde aurait, par voie d'échange, transférée à notre amé et féal noble homme Guibert de Peyre, damoiseau, coseigneur du château de Servières ; cette parerie, vous l'avez retenue, vous, nos vicaires, par droit de préla- tion, en vertu des règlements et statuts établis et confirmés par nos prédécesseurs et par nous-même. •
L'évêque explique alors que, en édictantou confirmant règlements, coutumes et statuts de la Garde-Guérin, il n'a jamais eu, ne peut avoir et n'aura jamais l'intention de concéder aux pariers, de préférence à l'évêque, le droit de retraire les pareries, lesquelles sont tenues en fief de l'évêque et de f église de Mende; le droit de retrait du seigneur suzerain est notoire et incontesté dans le Gévaudan et dans les pays voisins. Avant que les statuts et règlements de la Garde-Guérin exis- tassent et depuis qu'ils existent , les prédécesseurs de Guillaume et lui-même ont acquis des pareries par voie de retrait et par toute autre voie leur compétant, au su des pariers et consuls, et sans aucune contradiction. Les évêques n'ont pas le droit de renoncer à ce privi- lège du retrait ni de l'aliéner; s'ils avaient jamais consenti pareille aliénation, un tel acte eût été nul, et ils auraient pu, de ce fait, être
''* Ces explications ou révélations ne peuvent cache pas. C'est, croyons-nous, Richard, le
guère concerner des machinations imaginées coseigneur de Servières, parent de Guibert,
par Guibert de Peyre, car son nom apparaît que l'évêque soupçonne ici de